Accéder au contenu principal

Diamonds are forever (1956) - Ian Fleming

"Les deux pinces projetées en avant comme les bras d'un catcheur, le scorpion surgit, avec un bruissement sec, d'un minuscule trou de rocher.
Vingt centimètres plus loin, au bas d'un monticule de sable, un petit scarabée se hâtait de quitter l'ombre d'un buisson épineux dans l'espoir de dénicher quelque meilleure provende. La brusque attaque du scorpion ne lui laissa pas le temps d'ouvrir les ailes. Le scarabée agita faiblement les pattes quand la pince acérée s'abattit sur son corps ; puis le dard jaillit, par-dessus la tête du scorpion, et frappa le coléoptère qui mourut instantanément".

Après trois romans de très bonne tenue (Casino Royale, Live and let die et Moonraker), Diamonds are forever est un peu décevant du point de vue de l'intrigue. Chargé d'enquêter sur un trafic de diamants, James Bond prend la place de Peter Franks, un contrebandier qui doit passer des diamants d'origine africaine entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en compagnie de Tiffany Case. Cette dernière travaille pour la chambre des diamants, une obscure société tenue par les frères Spang. Pas de SMERSH donc, ni d'ancien officier nazi revanchard mais des gangsters américains un brin mégalomanes. Face aux précédents ennemis de 007, ceux de Diamonds are forever peuvent faire pâle figure et  déjà-vu.

Cependant, c'est sans compter sur l'imagination de Ian Fleming toujours généreux à créer des situations palpitantes dans un style d'écriture qui s'améliore à chaque nouvel opus des aventures de son personnage. En témoigne cette saisissante description d'un scorpion plongeant sur un scarabée et qui ouvre Diamonds are forever. Le livre est constamment ponctué de scènes fortes, inattendues voire même incroyables. Elles ont une puissance visuelle indéniable et on souhaiterait tout simplement les voir dans un film comme par exemple ce survol des Etats-Unis en avion au début du chapitre XV ou le repère de Seraffimo Spang, ville fantôme, vestige de la ruée vers l'or du XIXème siècle qui pourrait très bien être un décor de cinéma faisant sensation.  Beaucoup de passages sont aussi des petits moments de suspense où l'univers du jeu est omniprésent à travers les courses de chevaux truquées et les parties de cartes au casino biaisées. Il y a beaucoup d'action aussi comme cette intrusion d'hommes masqués dans un sauna pour punir un Jockey coincé dans un bain de boue pour avoir triché et causé la disqualification de son cheval. On peut également citer la poursuite de Spang à bord de sa locomotive lancée à pleine vitesse sur une draisine où se trouvent Bond et Tiffany Case en fuite ; et l'écrivain n'a pas son pareil pour décrire son héros saisir un canon mitrailleur et abattre un hélicoptère. Indéniablement, la plume de Fleming est cinématographique.

Un autre élément agréable avec Diamonds are forever est le retour de Felix Leiter, l'agent de la CIA mutilé par le requin de Mr Big dans Live and let die. Ayant quitté les services secrets américains, il travaille désormais pour la célèbre et réelle agence de détectives Pinkerton, connue entre autres pour avoir cassé de nombreux mouvements syndicaux et de grève au XIXème siècle et au début du XXème jusqu'à sa participation au massacre de Haymarket Square le 3 mai 1886, événement important dans l'histoire de la fête des travailleurs. Est-ce une occasion pour Ian Fleming de réaffirmer de manière indirecte de quel côté il se situe ainsi que ses héros ? Quoi qu'il en soit, Felix Leiter est toujours ce texan sympathique et incroyablement efficace malgré ses infirmités. Un crochet à la place de sa main manquante, il est l'une des figures les plus marquantes de l'oeuvre dans son ensemble.

On a l'occasion également d'assister à une scène surprenante, celle de James Bond venant en aide à une jeune manucure violemment giflée par Spang, celle-ci lui ayant malencontreusement fait mal à un doigt.
"- Flanquez moi cette salope à la porte ! hurla t-il.
Il remit son doigt blessé dans sa bouche et traîna ses pantoufles en écrasant les menus instruments, puis il passa la porte comme un fou et disparut.
- Oui, monsieur. Oui monsieur Spang, marmonna le coiffeur éberlué. Il se tourna vers la manucure et se mit à l'agonir. Bond tourna la tête et ordonna très calmement :
- Ca suffit.
Puis il se leva et ôta la serviette de son cou. Le coiffeur lui lança un regard étonné et murmura rapidement :
- Oui, monsieur ; bien, monsieur.
Puis il aida la manucure à ramasser ses outils".
Le type de scène que jamais le cinéma n'a réalisé dans les films de James Bond. Pourtant, c'est la description d'un homme moins froid et plus humain tel qu'il peut l'être parfois dans les films.On voit également qu'il tombe sincèrement amoureux de Tiffany Case et Fleming n'hésite pas à décrire les deux tourtereaux bras dessus bras dessous dans un bar à bord du Queen Elizabeth.

Mais Ian Fleming n'oublie pas pour autant de sublimer son héros à l'image de cette description dans le dernier chapitre alors que James Bond vient d'abattre au milieu de la nuit un hélicoptère en pleine Guinée française à l'aide d'un fusil mitrailleur installé sur un camion : ""Bond lâcha lentement les pédales de tir et se carra sur la selle de fer. Machinalement, sans quitter des yeux les flammes qui jaillissaient de l'appareil, il fouilla dans les poches de la chemise kaki qui lui avait obligeamment prêtée le commandant de la garnison. IL en sortit son étui à cigarettes et son briquet, alluma une cigarette puis remit ses affaires dans sa poche.
La filière aux diamants n'était plus. On avait tourné la dernière page du dossier. Il aspira longuement la fumée et la laissa filtrer entre ses dents avec un soupir tranquille et satisfait. Six cadavres à zéro. Belle partie.
Bond leva la main et la passa sur son front ruisselant. Il écarta une mèche moite collée sur son sourcil droit ; le reflet rougeâtre illumina son visage maigre et ses yeux collées". Une vraie posture héroïquement masculine. On remarque aussi que la France est une fois de plus présente, par l'intermédiaire de son ancienne colonie, la Guinée française, où se déroule l'ouverture et la conclusion du roman.

Encore une fois, le titre français ne respecte pas le titre original et devient Chaud les glaçons. Pourquoi ce titre ? Parce qu'on peut voir James Bond boire de la martini-vodka ? Il sera fidèlement traduit Les diamants sont éternels à partir de 1973. Pourtant, comme précédemment, Ian Fleming n'a pas choisi son titre au hasard. Cette affirmation est gravée sur une plaque d'or jaune et posée dans les vitrines de la maison du diamant. L'inscription provoquera cette réflexion à James Bond quand il croisera les yeux d'un homme qu'il vient de tuer et qui "semblaient lui dire : "Mon petit père, rien n'est jamais pour toujours. La mort seule dure éternellement. Rien ne dure toujours, sauf ce que vous venez de me faire...". Enfin, on peut lire dans le dernier chapitre : "Bond se rappela soudain les yeux du cadavre qui avait appartenu au groupe sanguin F. Ils mentaient, c'est pour toujours. Mais les diamants aussi sont éternels".

L'adaptation en 1971 est un film poussif qui prend de très grandes libertés avec le roman et tente de se rattacher à On her Majesty's secret service sorti 2 ans plus tôt. Il fait donc intervenir le SPECTRE et Blofeld en remplacement des frères Spang mais garde Wint et Kidd, les deux tueurs homosexuels dont les interprètes n'ont pas le charisme de leur version littéraire. Quant à Sean Connery, de retour après avoir laissé sa place temporairement pour George Lazenby, il aurait pu s'abstenir tant il a perdu beaucoup de sa prestance et d'intérêt pour le personnage.


Commentaires

  1. Eh bien voilà, tout est dit dans votre article, dans un style nerveux et explicite à la fois. Bravo.

    Le titre français relève de la tradition inaugurée par Marcel Duhamel, qui fonda la collection "Série Noire" chez Galliamrd, en la nourrissant de romans anglo-saxons traduits. Il avait opté pour cette manière ironique et -- comme on ne disait pas encore -- "décalée". Même chose pour le roman précédent, devenu Entourloupe dans l'azimut.
    Toutefois, rien à voir ici avec la vodka-martini. En argot, les glaçons, ce sont des balles, des projectiles. Et quand on en reçoit un dans le corps, on le trouve forcément chaud. La couverture du Livre de Poche, qui reprend donc texte et titre de la "Série Noire" est finalement explicite : on est directement visé par cette arme qui va nous balancer... un "glaçon chaud".
    Évidemment, cette mode des titres ironiques et argotiques n'était pas très intelligente, mais elle avait une logique, toutefois. Le titre n'est pas sans signification : "six cadavres à zéro", les "glaçons" ont donc dû être "chauds", en effet.
    De même, Entourloupe dans l'azimut signifiait, vous l'aurez compris, bien sûr, "tromperie dans l'espace", titre qui disait, d'une certaine manière, le projet de Drax contre l'Angleterre.

    RépondreSupprimer
  2. Merci Jacques.

    J'ai eu plus de facilités à rédiger cet article que le précédent et de fait, il est meilleur. Mais pourquoi ? Je n'en sais rien... terrible l'écriture comme vous dites.

    Je vous remercie pour les précisions que vous apportez ici. Voici une interrogation dont je n'avais pas de réponse depuis plus de vingt ans enfin éclaircie.

    Sébastien.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Vertige (2011) - Franck Thilliez

J'ai découvert Franck Thilliez  il y a quelques années avec La chambre des morts , polar que j'avais apprécié lire. Plus tard, j'ai lu Train d'enfer pour ange rouge , thriller plutôt bien construit qui plonge le lecteur dans un univers qui se montre de plus en plus effrayant. J'ai achevé la lecture de  Vertige  récemment, son avant dernier livre qui me fait dire que l'auteur s'est amélioré entre ses premières œuvres et celle-ci ; Avec toujours ce goût pour les descriptions de scènes et situations morbides. Jonathan Touvier se réveille au fond d'une grotte glacée. Il est attaché au poignet par une chaîne qui restreint considérablement son champs de déplacement. Il y a son chien aussi, endormi et qui ne tardera pas à sortir du sommeil dans lequel il a été plongé. Deux autres hommes aussi se réveillent dans le même lieu : Farid, qui lui est enchaîné à la cheville et Michel, libre de ses mouvements mais qui a un masque de fer fixé autour de la tête. P

Malevil (1981) - Christian de Chalonge

Dans mon enfance, il y a quelques films qui m'ont marqué mais pour chacun d'entre eux ne me restait qu'une image : un être amphibie nageant au fond d'un lac ( The creature from the black lagoon ), une femme habillée en cow-boy face à des hommes menaçants ( Johnny Guitar ), un homme qui retire un masque pour révéler un visage de femme qui rit en regardant des voitures s'éloigner de son manoir ( Murder by death ), une communauté vivant dans les catacombes de Paris ( Les gaspards )  et enfin un décor apocalyptique où tentent de survivre une poignée de personnes ( Malevil ). Ces long-métrages étant loin de bénéficier d'une diffusion télé annuelle, les occasions de les revoir furent nulles et leur souvenir se perdit dans les tréfonds de ma mémoire pour se résumer à ces quelques images. Pourquoi ceux-là ? Leur originalité propre a dû marquer mon imaginaire. Avec l'apparition du dvd et constatant la sortie de titres rares et oubliés, ces films remontèrent à la

Moonraker (1979) - Lewis Gilbert

Moonraker s'ouvre sur la subtilisation d'une navette spatiale transportée par avion entre les Etats-Unis et l'Angleterre. S'en suit une séquence où James Bond est surpris par des ennemis et éjecté sans parachute d'un avion. Dans sa chute libre, il affronte un homme de main pour tenter de récupérer un parachute. Puis c'est Jaws ( Richard Kiel ), qui refait son apparition dans ce film après avoir survécu à la destruction du repère de Karl Stromberg dans The spy who loved me qui s'en prend à lui. Cassant la poignée de son parachute en tentant de l'ouvrir, Jaws finira sa chute sur le chapiteau d'un cirque. Tout Moonraker est à l'image de son prégénérique, une succession de scènes plus ou moins spectaculaires qui s'achèvent systématiquement en clowneries. Même Jaws, pourtant si inquiétant et effrayant dans The spy who loved me , est ici prétexte à un humour de collégien jusqu'à lui faire avoir un coup de foudre pour une blondinette