Le bruit des détonations se répercuta plusieurs fois entre les murs de la pièce souterraine, puis tout retomba dans le silence. James Bond regarda la fumée provenant des deux extrémités de la salle se faire aspirer par le ventilateur installé au centre. Il fit basculer le barillet de son Colt Detective Special et attendit, le canon pointé en terre, tandis que l'instructeur franchissait les vingt pas qui les séparaient, dans la pénombre du stand.
L'inspecteur avait un large sourire.
- Je ne peux pas y croire, fit Bond, mais j'ai bien l'impression que je vous ai eu, cette fois.
L'instructeur arriva près de lui.
- Vous m'avez en effet envoyé à l'hôpital, mais vous, vous êtes mort, commandant, dit-il."
Dès 1953, Ian Fleming a méthodiquement livré chaque année à son éditeur un nouvel ouvrage mettant en scène James Bond 007, le personnage qu'il a créé. Dans sa vie, l'auteur luttait contre l'ennui et il semble qu'il luttait de la même façon dans son travail d'écrivain, pour la plus grande satisfaction du lecteur. Moonraker, le troisième roman sorti en 1955, est aussi différent de Live and let die (1954) que celui-ci l'était de Casino Royale (1953).
La première originalité est que le romancier nous décrit James Bond dans son travail quotidien et l'entraînement au tir par lequel commence le livre est certainement ce qu'il y a de plus palpitant. On voit ainsi l'agent s'ennuyer à survoler des rapports dont il se fiche du sujet, on apprend qu'il mange à la cantine et même ses loisirs ne semblent pas le stimuler plus que ça : "Dans la soirée, partie de cartes avec quelques bons amis, ou réunion chez Crockford ; ou encore, séance de jambes en l'air, pas très passionnée, en compagnie de l'une des trois femmes mariées de sa connaissance". Les missions en dehors de son bureau sont en réalité des moments d'exception. Quand au deuxième chapitre il se rend au dans le bureau de M qui l'a convoqué, on se dit que la mission ne va pas tarder à lui être exposée. Quand même ! On a un tel livre entre les mains non pas pour suivre la vie d'un fonctionnaire britannique dans sa lecture de rapports dont on se moque tout autant que lui de leur contenu mais pour vivre une aventure hors du commun.
Dans le bureau du chef du M.I 6, il nous est fait le portrait d'un certain Sir Hugo Drax. Ancien soldat anglais retrouvé défiguré et amnésique après une explosion au cours d'une attaque allemande pendant la seconde guerre mondiale, celui-ci a fait fortune grâce à un minerais, la columbite. Richissime, il devient héros national et est anobli par la reine en offrant à la Grande-Bretagne "une superfusée atomique, d'une portée suffisante pour atteindre la plupart des capitales européennes. Riposte immédiate à quiconque s'attaquerait à Londres avec des armes atomiques". Cette fusée protectrice doit être envoyée dans quelques jours. On s'attend alors à ce que 007 se voit confier une mission de protection de l'opération afin de déjouer un éventuel sabotage orchestré par l'Est... mais non. Hugo Drax triche aux cartes au club des Blades dont il est membre et James Bond doit découvrir comment et lui faire comprendre qu'il doit stopper. Si un tel vice venait à être dévoilée au public, ce serait une catastrophe tant cet homme est devenu important aux yeux de la Couronne.
Après ce passage aux Blades qui prend une dimension dramatique démesurée plutôt inattendue pour le plus grand bonheur du lecteur, les choses rentrent dans l'ordre, si l'on peut dire, puisque l'espion se voit confier le remplacement de l'officier de sécurité sur le site de la fusée ce dernier ayant été tué la nuit auparavant au cours d'un conflit lié à une femme, Gala Brand, et qui n'est rien d'autre qu'un agent du M.I 5 infiltrée chez Drax.
L'atmosphère devient alors assez singulière. Logeant dans la grande demeure de Drax près de Douvres, on entre alors avec James Bond dans une ambiance "Meurtre au manoir", un peu à la Agatha Christie, où les apparences ne semblent pas être ce qu'elles sont réellement. Par exemple, Krebs, le bras droit de Drax, son "chien de garde" comme il dit, est surpris en train de fouiller les affaires d'un James Bond qui mène son enquête à la façon d'un Sherlock Holmes recueillant un à un les indices. On a la surprise d'apprendre que les techniciens travaillant sur l'engin portent tous la même combinaison en nylon, ont tous le crâne tondu et "des moustaches extrêmement fournies qu'ils entretenaient avec le plus grand soin". Certaines descriptions sont hallucinantes comme celle de la fusée dans sa tour de lancement faisant penser à une immense balle dans le canon d'un pistolet géant à côté de laquelle les hommes sont des fourmis. Derrière cette curieuse ambiance, on se doute bien qu'une menace plane.
Un élément assez plaisant chez Fleming pour un français est que la France n'est jamais bien loin. Casino Royale se déroulait quasiment intégralement dans l'hexagone, dans une ville fictive certes mais inspirée de communes existantes des côtes du Pas-de-Calais et de la Picardie. Si Live and let die se passait aux Etats-Unis et en Jamaïque, on pouvait voir Bond se rappeler au souvenir de Royale-les-Eaux. Moonraker se déroulant sur les côtes anglaises à proximité de Douvres, Fleming ne peut s'empêcher de mentionner le Pas-de-Calais ; mais c'est à travers une description de Gala Brand que la France surgit de façon singulière : "Il était difficile d'imaginer que cette jolie fille pût être de la police. Son profil net avait de l'autorité, mais les longs cils noirs qui soulignaient ses yeux bleu foncé, et sa bouche assez grande auraient été dignes du pinceau de Marie Laurencin".
(Re)lire Ian Fleming, c'est (re)découvrir James Bond. Encore une fois, il n'est pas ce héros intouchable auquel le cinéma nous a habitué. Dans Moonraker, ses faiblesses sont à nouveau visibles. Ainsi, pour découvrir et battre Drax aux cartes, il se sent obligé de prendre de la benzédrine. James Bond a donc un penchant pour les produits dopants. Il n'est pas non plus capable d'empêcher d'éviter d'accidenter sa voiture alors qu'il file un véhicule dans la nuit et il finit le roman le corps meurtri rempli de pansements. Pire, alors qu'il pense pouvoir partir avec Gala Brand à la fin de la mission pour quelques vacances en France, cette dernière le laisse sur un banc dans un parc de Londres pour partir avec son futur mari. James Bond n'est donc pas non plus ce tombeur irrésistible du cinéma qui finit dans les bras de la femme qui l'a accompagné pendant toute l'histoire et qui n'a pu y résister. "Elle le regardait avec une certaine inquiétude, impatiente peut-être de se voir débarrassée de cet étranger qui avait tenté de forcer l'accès de son coeur. Bond lui sourit gentiment (...). Il lui tendit la main.
- Adieu James !
Pour la dernière fois, il frémit au contact de sa main, puis ils se tournèrent le dos et s'en allèrent, chacun vers son destin".
Comme Casino Royale devenu Espions faites vos jeux et Live and let die Requins et services secrets, le titre français de Moonraker ne reprend pas le titre original. Il devient Entourloupe dans l'azimut, le titre certainement le plus ridicule de tous, qui fait plus penser à une aventure de San-Antonio qu'à un thriller d'espionnage. On peut donc se rendre compte à nouveau du peu de considération dont ont fait preuve les éditeurs français pour l'oeuvre de Fleming alors que, comme pour Casino Royale et Live and let die, il en justifie à chaque fois le titre. Ici, il s'agit tout simplement du nom de la fusée de Sir Hugo Drax qui, dans le texte français, est appelé correctement en "Vise-lune". Il faudra attendre 2008 et une nouvelle édition chez Bragelonne pour que le titre Moonraker soit enfin utilisé avec une nouvelle traduction du roman.
Moonraker a été adapté au cinéma en 1979. Parler d'une adaptation est un bien grand mot tant le film n'a rien à voir avec le roman. Roger Moore fait de James Bond un petit rigolo mondain à la vanne facile. Il chevauche un cheval sur le thème de The magnificent seven, visite Venise en Gondole-hovercraft, lutte contre l'ennemi en orbite autour de la terre avec des rangers de l'espace armés de fusils-laser, croise Georges Beller, ce gros beauf de Jean-Pierre Castaldi et bien d'autres choses encore qui font de Moonraker une grosse blague pas drôle.
La première originalité est que le romancier nous décrit James Bond dans son travail quotidien et l'entraînement au tir par lequel commence le livre est certainement ce qu'il y a de plus palpitant. On voit ainsi l'agent s'ennuyer à survoler des rapports dont il se fiche du sujet, on apprend qu'il mange à la cantine et même ses loisirs ne semblent pas le stimuler plus que ça : "Dans la soirée, partie de cartes avec quelques bons amis, ou réunion chez Crockford ; ou encore, séance de jambes en l'air, pas très passionnée, en compagnie de l'une des trois femmes mariées de sa connaissance". Les missions en dehors de son bureau sont en réalité des moments d'exception. Quand au deuxième chapitre il se rend au dans le bureau de M qui l'a convoqué, on se dit que la mission ne va pas tarder à lui être exposée. Quand même ! On a un tel livre entre les mains non pas pour suivre la vie d'un fonctionnaire britannique dans sa lecture de rapports dont on se moque tout autant que lui de leur contenu mais pour vivre une aventure hors du commun.
Dans le bureau du chef du M.I 6, il nous est fait le portrait d'un certain Sir Hugo Drax. Ancien soldat anglais retrouvé défiguré et amnésique après une explosion au cours d'une attaque allemande pendant la seconde guerre mondiale, celui-ci a fait fortune grâce à un minerais, la columbite. Richissime, il devient héros national et est anobli par la reine en offrant à la Grande-Bretagne "une superfusée atomique, d'une portée suffisante pour atteindre la plupart des capitales européennes. Riposte immédiate à quiconque s'attaquerait à Londres avec des armes atomiques". Cette fusée protectrice doit être envoyée dans quelques jours. On s'attend alors à ce que 007 se voit confier une mission de protection de l'opération afin de déjouer un éventuel sabotage orchestré par l'Est... mais non. Hugo Drax triche aux cartes au club des Blades dont il est membre et James Bond doit découvrir comment et lui faire comprendre qu'il doit stopper. Si un tel vice venait à être dévoilée au public, ce serait une catastrophe tant cet homme est devenu important aux yeux de la Couronne.
Après ce passage aux Blades qui prend une dimension dramatique démesurée plutôt inattendue pour le plus grand bonheur du lecteur, les choses rentrent dans l'ordre, si l'on peut dire, puisque l'espion se voit confier le remplacement de l'officier de sécurité sur le site de la fusée ce dernier ayant été tué la nuit auparavant au cours d'un conflit lié à une femme, Gala Brand, et qui n'est rien d'autre qu'un agent du M.I 5 infiltrée chez Drax.
L'atmosphère devient alors assez singulière. Logeant dans la grande demeure de Drax près de Douvres, on entre alors avec James Bond dans une ambiance "Meurtre au manoir", un peu à la Agatha Christie, où les apparences ne semblent pas être ce qu'elles sont réellement. Par exemple, Krebs, le bras droit de Drax, son "chien de garde" comme il dit, est surpris en train de fouiller les affaires d'un James Bond qui mène son enquête à la façon d'un Sherlock Holmes recueillant un à un les indices. On a la surprise d'apprendre que les techniciens travaillant sur l'engin portent tous la même combinaison en nylon, ont tous le crâne tondu et "des moustaches extrêmement fournies qu'ils entretenaient avec le plus grand soin". Certaines descriptions sont hallucinantes comme celle de la fusée dans sa tour de lancement faisant penser à une immense balle dans le canon d'un pistolet géant à côté de laquelle les hommes sont des fourmis. Derrière cette curieuse ambiance, on se doute bien qu'une menace plane.
Un élément assez plaisant chez Fleming pour un français est que la France n'est jamais bien loin. Casino Royale se déroulait quasiment intégralement dans l'hexagone, dans une ville fictive certes mais inspirée de communes existantes des côtes du Pas-de-Calais et de la Picardie. Si Live and let die se passait aux Etats-Unis et en Jamaïque, on pouvait voir Bond se rappeler au souvenir de Royale-les-Eaux. Moonraker se déroulant sur les côtes anglaises à proximité de Douvres, Fleming ne peut s'empêcher de mentionner le Pas-de-Calais ; mais c'est à travers une description de Gala Brand que la France surgit de façon singulière : "Il était difficile d'imaginer que cette jolie fille pût être de la police. Son profil net avait de l'autorité, mais les longs cils noirs qui soulignaient ses yeux bleu foncé, et sa bouche assez grande auraient été dignes du pinceau de Marie Laurencin".
(Re)lire Ian Fleming, c'est (re)découvrir James Bond. Encore une fois, il n'est pas ce héros intouchable auquel le cinéma nous a habitué. Dans Moonraker, ses faiblesses sont à nouveau visibles. Ainsi, pour découvrir et battre Drax aux cartes, il se sent obligé de prendre de la benzédrine. James Bond a donc un penchant pour les produits dopants. Il n'est pas non plus capable d'empêcher d'éviter d'accidenter sa voiture alors qu'il file un véhicule dans la nuit et il finit le roman le corps meurtri rempli de pansements. Pire, alors qu'il pense pouvoir partir avec Gala Brand à la fin de la mission pour quelques vacances en France, cette dernière le laisse sur un banc dans un parc de Londres pour partir avec son futur mari. James Bond n'est donc pas non plus ce tombeur irrésistible du cinéma qui finit dans les bras de la femme qui l'a accompagné pendant toute l'histoire et qui n'a pu y résister. "Elle le regardait avec une certaine inquiétude, impatiente peut-être de se voir débarrassée de cet étranger qui avait tenté de forcer l'accès de son coeur. Bond lui sourit gentiment (...). Il lui tendit la main.
- Adieu James !
Pour la dernière fois, il frémit au contact de sa main, puis ils se tournèrent le dos et s'en allèrent, chacun vers son destin".
Moonraker a été adapté au cinéma en 1979. Parler d'une adaptation est un bien grand mot tant le film n'a rien à voir avec le roman. Roger Moore fait de James Bond un petit rigolo mondain à la vanne facile. Il chevauche un cheval sur le thème de The magnificent seven, visite Venise en Gondole-hovercraft, lutte contre l'ennemi en orbite autour de la terre avec des rangers de l'espace armés de fusils-laser, croise Georges Beller, ce gros beauf de Jean-Pierre Castaldi et bien d'autres choses encore qui font de Moonraker une grosse blague pas drôle.
Une fois encore, l'essentiel est dit dans votre article : Bond n'est pas un héros invincible, c'est un fonctionnaire qui s'ennuie au bureau, il est plus ou moins dépressif, Gala l'abandonne à la fin, la France est présente, le quotidien d'un agent secret est décrit... Tout cela est exact. C'est une belle synthèse.
RépondreSupprimerMoonraker est une aventure intime, narrée sur un ton plutôt confidentiel. Moonraker confirme, dès la troisième mission de Bond, ce que nous savons aujourd'hui : tous les livres seront différents. Pas de production industrielle, pas de littérature à la chaîne, mais, un à un distillés, quatorze volumes tous très originaux qui nous enchantent encore des décennies après.
Merci.
RépondreSupprimerEffectivement, Moonraker se lit comme un récit confidentiel.
Concernant les différences entre les romans, c'est tout à fait exact, je les constate encore en ce moment en lisant Diamonds are forever dont j'approche la fin.