Généralement, quand on évoque Clint Eastwood, on a tout de suite à l'esprit l'image du cow-boy solitaire qui tire plus vite que son ombre dans les westerns de Sergio Leone ou celle du flic à la Dirty Harry qui flingue d'abord et pose ensuite les questions. C'est oublier qu'il a eu une carrière nettement plus riche et intéressante qui va au delà de ces deux figures iconiques néanmoins très fortes. Clint Eastwood est certainement l'un des rares monuments du cinéma (car il s'agit bien d'un monument) à s'être mis autant en danger tout au long de sa carrière, qu'il se mette lui-même en images ou par un autre, et celà assez tôt dans sa carrière. Il fallait déjà un certain courage à l'époque pour aller tourner un western fauché en 1964 par un réalisateur italien inconnu alors qu'il aurait très bien pu se contenter de continuer la série Rawhide de manière confortable. Il fallait aussi un certain courage, trois ans après son retour aux Etats-Unis, pour tourner dans The Beguiled (1971) sous l'oeil de Don Siegel. En effet, alors qu'à travers les westerns de Sergio Leone ou de films comme Coogan's bluff (Un shérif à New-York du même Don Siegel) et Where eagles dare (Quand les aigles attaquent) il était devenu une incarnation du héros viril et implacable, en acceptant de tourner ce film, il entrait dans la peau d'un soldat nordiste déplaisant.
Pendant la guerre de sécession, le caporal McBurney trouve refuge dans un pensionnat sudiste pour jeunes filles alors qu'il est à deux doigts de mourir de ses blessures. Très vite, il va manipuler les membres et pensionnaires de l'établissement pour trouver grâce à leurs yeux. Il va rapidement éveiller et réveiller en elles désir sexuel et jalousie dans une ambiance de plus en plus tendue et anxiogène. Il pensait faire d'elles les proies de ses manœuvres, il va rapidement devenir la proie de leurs frustrations.
Film méconnu de la carrière de Clint Eastwood mais aussi de son réalisateur Don Siegel (On lui doit la première version de Invasion of the body snatchers, le premier Dirty Harry et Escape from Alcatraz), The beguiled (Les proies) n'en est pas moins un chef-d'oeuvre où à travers une mise en scène impeccablement maîtrisée (voir par exemple, avec ses jeux d'ombres et de miroirs, le terrible moment où Clint Eastwood se fait scier la jambe), est mis en avant l'hypocrisie et la cruauté des relations humaines jusqu'au sadomasochisme malsain. Martha Farnsworth (Geraldine Page), la directrice, n'est qu'une bigote intégriste qui cache les relations incestueuses qu'elle a eu avec son frère, le même frère qui a violé la servante noire du pensionnat, cette dernière se sentant obligée de prendre fait et cause pour les pensionnaires racistes et sudistes contre le soldat nordiste dont l'influence perturbe le fonctionnement du pensionnat et la psychologie de ses occupantes. L'institution, alors qu'elle aurait dû représenter l'espoir d'une délivrance pour McBurney, devient pour lui une prison à l'image du corbeau dont la patte est attachée au balcon de la maison et à qui la plus jeune des pensionnaires lui affirme que c'est pour son bien avant qu'il ne soit guéri de ses blessures.
Le film s'achèvera tragiquement pour tout le monde, les dernières images renvoyant au début du film de manière presqu'ironique. Je n'en dirai rien ici pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui ne l'ont pas vu.
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