"James Bond, dans la salle d'attente de l'aéroport de
Miami, se livrait à des considérations sur la vie et la mort, après avoir avalé
deux doubles bourbons.
Tuer faisait partie de son métier. La chose ne lui plaisait
guère, mais, lorsqu'il y était obligé, il la faisait de son mieux et l'oubliait
le plus vite possible. En tant qu'agent secret dont le matricule était précédé
du rarissime double 0 (ce qui lui conférait le droit de tuer où et quand il le
jugeait bon), il était de son devoir de considérer la mort avec autant de calme
qu'un chirurgien. Lorsque cela arrivait, c'est qu'il n'y avait pas d'autre
solution à envisager. Les regrets étaient superflus. Bien plus, l'idée de la
mort était profondément ancrée en James Bond."
Les considérations sur la mort qui ouvrent Goldfinger et
auxquelles se livre James Bond peuvent paraître surprenantes. En réalité, elles
correspondent à l'évolution du personnage. Après avoir fait tuer son héros dans
From Russia with love, l'avoir "ressuscité" dans Dr No, notamment à
travers un parcours d'épreuves que lui fait subir Julius No (dans mon article
qui lui est consacré j'assimile ce parcours à "une renaissance pour James
Bond, une sorte de nouvel accouchement dans la douleur pour redevenir ce héros
qu'il était"), Ian Fleming commence son 7ème roman par un élément qui le
relie à la toute première aventure de son personnage, Casino Royale, comme pour
signifier que cette fois, il est de nouveau entier.
En effet, alors qu'il attend son vol pour Londres à
l'aéroport de Miami, James Bond est abordé par Junius Du Pont, un millionnaire
américain qui n'est autre qu'un des participants de la partie de baccarat au
cours de laquelle il affrontait Le Chiffre dans le but de le ruiner et priver le SMERSH de ressources importantes. L'ayant reconnu et se souvenant de
ses talents de joueur de cartes, Du Pont lui propose 10000 dollars pour
découvrir comment un certain Auric Goldfinger triche à un jeu de cartes nommé
la canasta. James Bond accepte et découvre comment Goldfinger s'y prend et lui
fait perdre une importante somme d'argent. De retour à Londres, après s'être
ennuyé quelques moments en tant qu'officier du service de nuit et par le plus
grand des hasards, 007 se voit confier la surveillance du même Goldfinger qui est en
réalité l'homme le plus riche du royaume d'Angleterre. Il est suspecté de trafic
d'or au détriment de la couronne britannique et James Bond le soupçonne même
d'être un agent du SMERSH. Immigré hongrois qui a fait rapidement fortune après
son arrivée en Angleterre à la fin de la seconde guerre mondiale, il
financerait par son trafic les opérations de l'URSS.
Le roman a un découpage plutôt original, en trois parties et
qui correspondent aux trois rencontres entre Bond et Goldfinger (Concours de
circonstance, coïncidence, déclaration de guerre) et qui renvoie à un proverbe des
gens de Chicago selon le millionnaire : "La première rencontre est un
concours de circonstance, la deuxième une coïncidence : la troisième, une
déclaration de guerre".
On retrouve le goût de Ian Fleming pour la France puisque
James Bond suit discrètement la voiture de Goldfinger à travers l'hexagone, du
Touquet jusqu'à la frontière suisse en passant par Abbeville, Rouen, Orléans,
Mâcon. C'est l'occasion pour l'écrivain de partager ses connaissances sur la
géographie française mais aussi sur certaines particularités gastronomiques.
Ainsi par exemple est mentionné le rosé d'Anjou. Il y a quelque chose
d'agréablement surprenant à voir mentionnées ces villes françaises mais aussi certains fleuves et rivières (la Loire, le Rhône, la Saône) tant le James Bond cinématographique
qui est le plus connu du grand public est loin de ces endroits.
Cependant, malgré deux premières parties plutôt captivantes,
la dernière m'a laissé sur ma fin en raison de défauts et incohérences qui
m'ont parus trop nombreux.
Pour commencer, pourquoi Goldfinger, qui détient James Bond
prisonnier, décide t-il finalement de lui laisser la vie sauve pour lui donner une
part active dans son projet final alors que cela fait des mois qu'il en a pensé
les moindres détails ? Il n'a pas besoin de lui d'autant plus qu'à ce stade de
l'intrigue, Goldfinger croit toujours que James Bond n'est pas un agent du MI6 et qu'il travaille pour Universal Exports.
Ensuite, ce plan final qui est de vider Fort Knox de ses
réserves d'or me parait un peu trop gros pour être entièrement crédible. L'extravagance fait partie intégrante des oeuvres de Fleming mais ici, je trouve que ça ne fonctionne pas. Cela
avait déjà été mon impression la première fois que j'avais lu le roman, elle fût la
même cette fois ci. De plus, l'attaque de Fort Knox est expédiée en seulement
deux chapitres sans aucune réelle intensité dramatique ni grand suspense et
c'est tout juste si l'on ressent un peu d'émotion en voyant Felix Leiter, l'ami
américain de James Bond déjà rencontré dans les romans précédents, arriver pour
repousser Goldfinger et ses hommes.
Il faut aussi signaler, mais c'est quelque chose de récurrent
chez lui, que Ian Fleming se laisse aller à quelques réflexions racistes et
cette fois, ce sont les coréens qui sont visés. Par exemple, le garde du corps
coréen de Goldfinger, Bon à tout, est qualifié de "vilain singe" par
James Bond.
Enfin, et c'est peut-être la plus grosse faiblesse du roman,
le personnage de Goldfinger apparaît comme n'étant qu'une resucée d'ennemis
précédents, Le Chiffre mais surtout Hugo Drax dans Moonraker.
C'est sous le titre Opération chloroforme qu'est sortie la
première édition française du 7ème roman de Ian Fleming. En plus d'être très
moyen, il a pour tare de dévoiler un peu le plan de Goldfinger qu'il n'a
d'ailleurs pas nommé opération chloroforme mais opération grand chelem.
Goldfinger est la 3ème adaptation cinématographique d'un
roman de Ian Fleming. Sorti en 1964, c'est le film qui a propulsé James Bond au rang
d'icône mondiale et qui en a fait un objet de culte. Même si l'intrigue suit à
peu près celle du roman, c'est la première fois qu'on s'éloigne à ce point de
la lettre de Fleming. L'univers dans lequel évolue désormais l'agent secret est
fantasmé, l'ambiance sublimée. Sean Connery se montre complètement à l'aise
tandis que Gert Froebe incarne parfaitement Goldfinger, lui donnant presque un
côté monstrueux.
Cependant, la mise en scène de Guy Hamilton manque
cruellement d'intensité à de trop
nombreux moments et le scénario contient des incohérences. Par exemple, la CIA
semble pendant tout le film au service des anglais et Felix Leiter (le fade Cec Linder) prend même ses ordres directement de M.
Ce que je préfère dans le film, c'est la bande originale de John Barry et la chanson titre que Shirley Bassey interprète avec une puissance qui impressionne encore aujourd'hui.
Vous le savez, je suis incapable de dissocier des autres un livre de la série. Par conséquent, Goldfinger est pour moi un élément de l'ensemble, cet ensemble qui me laisse un goût extraordinaire, fantastique, dans la bouche... et dans la nostalgie. En vertu de quoi, je ne vois pas, ou peu, les défauts que l'on remarque ordinairement dans ce roman. A noter qu'un des épisodes les plus frappants du film, la femme peinte en or, est présent dans le livre -- les scénaristes n'ont rien inventé --, mais d'une façon presque "ordinaire", pourrait-on dire : on apprend la nouvelle incidemment, quelque temps après cet assassinat "golden style". Et pour des choses comme ça, Fleming demeure le champion. Je tiens pour assuré qu'il a, à lui seul, autant d'imagination que les équipes de scénaristes qui se sont succédé, au cinéma, depuis l'origine.
RépondreSupprimerJe sais que vous considérez l'oeuvre de Fleming comme un ensemble cohérent parce qu'il a créé un univers cohérent et vous aimez les démiurges (votre interview à propos du créateur de James Bond).
RépondreSupprimerJe ne sais plus si c'est dans votre biographie sur Fleming ou au cours de votre conférence au Touquet où vous avez signalé que The spy who loved me faisait le lien entre Thunderball et On Her Majesty's secret service car lorsque Bond apparaît, on apprend qu'il est à la recherche de Blofeld. Je ne me souvenais pas de ce détail ; Mais je ne les avais pas lu dans l'ordre chronologique à l'époque. J'ai d'ailleurs un bon souvenir de ce roman.
Pour en revenir à Goldfinger, c'est vraiment un sentiment de déception que j'ai eu en voyant que l'attaque de Fort Knox était aussi rapide. Fleming sait tellement faire mieux. Ainsi, vous avez raison, il a autant d'imagination que les scénaristes qui ont eu pour tâche de l'adapter... et parfois très mal. Par exemple, Live and let die. Roman noir et violent, le film n'est qu'une ridicule mascarade.
Enfin, l'assassinat "Golden style" comme vous dites (jolie formulation), j'ai été étonné qu'il ne soit pas décrit dans l'action mais qu'il soit rapporté par Tilly Masterson. Je ne me souvenais pas non plus de ce détail, la scène du film étant tellement marquante (et je l'ai tellement vu aussi) que je pensais que la scène était similaire dans le roman d'origine.
Eh oui, l'image est frappante et tous, nous la pensons aujourd'hui telle, dans le livre. Et pourtant, non. On apprend la nouvelle incidemment. On mesure là la force du cinéma, mais aussi, finalement, la tendance des scénaristes à aller au plus facile : ils amplifient un détail du livre, simplement parce qu'il a "de la gueule".
RépondreSupprimerPour ce qui est de l'espace-temps détaillé de l'ensemble de la série, et notamment Motel 007 qui fait le lien entre Opération Tonnerre et Au service secret de Sa Majesté, je vous rappelle l'indispensable bible en anglais que l'on doit à John Griswold :
http://books.google.fr/books?id=uariyzldrJwC&printsec=frontcover&dq=in+james+bond+stories&source=bl&ots=W4bTdnS8yd&sig=xcrOg_RXAqZqMqG6n1Nb4Q9xjUI&hl=fr&sa=X&ei=CfAcUJSsAaiW0QWcq4GYCA&redir_esc=y#v=onepage&q=in%20james%20bond%20stories&f=false
Oui, je n'ai pas oublié cet ouvrage. Il faut que je le commande et le lise évidemment. C'est prévu.
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