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The man with the golden gun (1965) - Ian Fleming

"Même les officiers supérieurs du service secret ne connaissent pas tous les secrets de l'organisation pour laquelle ils travaillent. Il n'y a que "M" et son chef d'état-major qui sachent tout, le dernier nommé ayant en outre la garde du dossier ultra-secret connu sous le nom de "Livre de Guerre", grâce auquel, en cas de décès simultané des deux hommes, toutes les informations, mises à part celles qui sont confiées en particulier aux sections et aux stations, pourront être transmises à leurs successeurs.
James Bond ignorait, par exemple, le mécanisme de l'appareil administratif qui fonctionnait au quartier général et qui était chargé des relations avec le public. Ces relations pouvaient être amicales ou non, et ce public pouvait être composé de poivrots, de fous, de gens posant leur candidature pour entrer dans le service, ou déclarant qu'ils avaient des informations confidentielles à livrer, ainsi que d'agents ennemis tentant de s'infiltrer dans l'organisation, avec, dans certains cas, mission d'y perpétrer des meurtres.
C'est par un matin clair et froid de novembre que notre homme allait faire connaissance avec tous les rouages de ce département.
L'opératrice du central téléphonique du ministère de la Défense mit la clef de contrôle sur la position "attente" et dit à sa voisine :
- Encore un autre cinglé qui prétend qu'il est James Bond ! Il connait même son numéro de code. Il dit qu'il veut parler personnellement à "M"."

The man with the golden gun est généralement considéré comme un faible Fleming, voire le plus faible, du fait qu'il s'agit d'un livre inachevé et que l'auteur y recyclerait des éléments qu'il a déjà utilisés dans ses précédentes histoires. S'il est vrai que le créateur de James Bond est mort avant qu'il n'ait pu le finaliser, l'écrivain fait toujours preuve de l'imagination qui l'a motivé ; et une fois de plus, il livre un récit qui se distingue de ce qu'il a précédemment écrit.

Le récit commence par la description d'un rouage du MI6 resté jusque là inédit, celui des interrogateurs. En effet, James Bond revient après avoir disparu pendant un an à la suite de son affrontement avec Blofeld à la fin de You only live twice. Il reprend contact avec les services anglais alors qu'ils le considéraient comme mort. La crainte étant qu'il soit passé à l'ennemi pendant cette période, il doit donc se confronter aux questions. Un lieu interne au service jusque là inédit, un interrogatoire dans une ambiance feutrée ("une pièce agréable, brillamment éclairée et dont le sol était recouvert d'une moquette Wilson gris souris. (...) Un petit feu clair brûlait sous un manteau de cheminée (...). Au centre, une table avec un vase rempli de fleurs") mais suspicieuse et méfiante (l'interrogateur tend à James Bond un journal ayant "subi un traitement spécial, de manière à produire de bonnes empreintes digitales"), la possibilité d'un James Bond retourné... Dès l'entrée en matière Ian Fleming installe une "atmosphère". Il s’avérera que les services secrets soviétiques ont fait subir au héros un lavage de cerveau et l'ont renvoyé au MI6 dans le but d'assassiner M. James Bond échouera. Le MI6 le remet sur pied et M lui confie une mission pour se racheter : tuer un certain Francisco Scaramanga. S'il réussit, les services anglais auront récupéré leur agent, s'il échoue, ils seront débarrassés d'un agent qui était devenu un problème. D'ailleurs, M pense qu'il n'en sortira pas vivant.

Le personnage de James Bond que Ian Fleming a créé est celui d'un homme qui déteste tuer de sang froid. Il s'agit d'un trait de caractère que l'écrivain a mentionné et développé à plusieurs reprises dans ses précédents ouvrages. Par conséquent, James Bond est horrifié en se rendant compte de ce qu'il s'apprêtait à faire à la suite de la manipulation dont il a fait l'objet de la part des services secrets soviétiques, d'autant plus qu'il s'agissait d'éliminer son propre chef ; et ainsi, Ian Fleming fait de l'URSS le système qui représente le "mal absolu" car il est capable de transformer littéralement des êtres humains en machines à tuer en annihilant leur propre conscience, ce que ne fait pas le MI6. James Bond doit éliminer Scaramanga en devant composer avec sa personnalité pour trouver les motivations nécessaires pour le faire.

Pour justifier l'assassinat de Francisco Scaramanga, celui-ci est présenté au lecteur à travers le dossier que détient le MI6. C'est évidemment un horrible personnage au physique repoussant ("Longues cicatrices de brûlures sur les côtés"), aux mœurs déviantes ("Insatiable amateur de femmes sans discrimination de race ; a invariablement des rapports sexuels peu de temps avant de tuer, car il croit que cela améliore son coup d'oeil (N.B. Croyance partagée par une grande quantité de professionnels du tennis, du golf, du tir, etc.)") travaillant principalement pour le KGB et Cuba et responsable de la mort de plusieurs milliers (!) de personnes. Ian Fleming lui ajoute une anomalie physique, "un troisième téton à environ cinq centimètres sous le sein gauche", ce qui serait signe d'invulnérabilité et de grande virilité dans le culte vaudou. A cette description déjà gratinée, s'ajoute un traumatisme à l'adolescence ayant certainement fait de lui le tueur qu'il est aujourd'hui et qu'il serait "un paranoïaque révolté contre le personnage du père (représentant l'autorité) et un fétichiste sexuel, ayant peut-être des tendances homosexuelles". On peut lire cette incroyable affirmation : "Scaramanga serait sexuellement anormal (...). En énumérant ses traits distinctifs, Times note, sans toutefois y ajouter de commentaires, que cet homme ne sait pas siffler. Cela peut évidemment n'être qu'une légende,et cela ne repose sur aucune donnée scientifique ou médicale, mais, d'après une théorie populaire, un homme qui ne sait pas siffler aurait des tendances homosexuelles".

En lisant le dossier Francisco Scaramanga du MI6, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec le dossier James Bond du SMERSH dans From Russia with love où il était présenté comme un terroriste avec une cicatrice traversant sa joue droite et son attirance pour les femmes comme un vice. Ian Fleming fait donc de son ennemi une sorte de double maléfique de son héros. Leur première rencontre est d'ailleurs de ce point de vue emblématique : dans une maison de passe, deux ego qui se jaugent, se scrutent, prêts à dégainer à la moindre alerte. Mais là où Scaramanga traumatise la prostituée gérante en tuant de deux balles de son pistolet d'or ses deux oiseaux, des grackles de la Jamaïque, Bond lui apporte assistance et réconfort ; illustrant une fois encore le fait que la misogynie reprochée à Ian Fleming et à son personnage ne sont que des griefs exagérément formulés. Si dans ses livres on peut lire quelques réflexions tendancieuses envers les femmes, jamais il ne se montre insultant à leur égard, tout au plus peut-on y voir une forme de paternalisme de l'époque mais en aucune façon du mépris. Dans le présent roman, James Bond a aussi la même attitude prévenante pour Mary Goodnight, l'ex secrétaire de la section 00 de Londres qui a rejoint la branche Jamaïque du MI6.

En revanche, son racisme est plus flagrant. Ce n'est pas la première fois que Ian Fleming envoie son personnage en Jamaïque et la crainte est de lire à nouveau des réflexions xénophobes au sujet des Jamaïcains à l'image de celles de Doctor No, d'autant plus qu'entre les deux romans, l'île a acquis son indépendance. Finalement, il n'en est rien, il parle même de "l'exquise langueur des gens des Caraïbes", ce qui est plus sympathique que de lire que les jamaïcains "ne sont même pas capables de faire marcher un service d'autobus" (Doctor No). Cependant, un personnage hollandais fait quand même les frais de ses préjugés : "M. Hendricks, qui était assis en face de lui, se complaisait dans un silence aussi épais qu'un fromage de Gouda".

A plusieurs reprises, James Bond a l'occasion de tuer Scaramanga mais il s'abstient comme lors de leur rencontre au cours de laquelle la cible l'invite chez lui pour y travailler : "James Bond s'installa derrière Scramanga et se demanda s'il ne ferait pas bien de tuer l'homme tout de suite, en lui logeant une balle dans la nuque, suivant la méthode de la Gestapo ou du KGB. Il se retint pour différentes raisons, au premier rang desquels se glissaient une pointe de curiosité, avec une répugnance innée à tuer de sang-froid. Mais il y avait aussi le sentiment que ce n'était pas le moment idéal, et qu'il aurait fallu en outre tuer le chauffeur. Tout cela, combiné au fait que la nuit était douce et que l'appareil à disques jouait à présent un de ses airs favoris : After you've gone, à l'unisson avec le chant des cigales, lui disait : NON. Mais au même moment où la voiture filait par Love Lane, en direction de la mer argentée, James se dit que non seulement il désobéissait aux ordres, mais que de plus il était un fichu idiot". James Bond qui ne saisit pas l'occasion de remplir rapidement sa mission parce que le moment lui est agréable, c'est du pur Fleming ; et cela démontre une fois de plus, comme c'est le cas dans tous ses romans et nouvelles, que 007 n'est pas ce tueur sadique auquel il est trop souvent comparé et reproché à l'écrivain d'avoir créé. D'ailleurs, bien lui en prend, cela le mènera à découvrir que Scaramanga dirige un regroupement de gangsters et de mafieux de diverses nationalités qui s'entendent pour exploiter la Jamaïque en utilisant des moyens terroristes et criminels. Il y retrouvera aussi son ami Felix Leiter qui travaille à la fois pour l'agence de détective Pinkerton et la CIA et qui s'est infiltré dans ce groupe.

A la lecture de The man with the golden gun, j'ai eu le sentiment que Ian Fleming voulait relancer James Bond dans une nouvelle direction. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu et qui s'est confirmée en lisant les dernières lignes : "- Goodnight, vous êtes un ange ! dit-il. Et il le pensait.
Au même instant, il sentit au plus profond de lui que l'amour de Mary Goodnight ou de n'importe quelle autre femme ne lui suffirait jamais. Ce serait toujours comme s'il prenait une chambre avec "une belle vue". Pour James Bond, n'importe quelle vue ne tarderait pas à devenir insipide".
Bien sûr, on retrouve là cette idée chez Fleming que son personnage frôle la dépression quand il est trop longtemps contraint à un travail administratif mais n'est-ce-pas là un aveu d'envie d'aventures ? La descente aux enfers de James Bond est finie. Blofeld est mort, il peut faire le deuil de Teresa... et partir pour de nouvelles missions. En remplissant celle-ci, il prouvera qu'il en est toujours capable. On ne saura jamais ce que Ian Fleming imaginait pour son personnage.

En France, The man with the golden gun sortira en 1965 chez PLON, la même année que les deux précédents, sans titre traduit de façon fantaisiste en devenant L'homme au pistolet d'or.

Le film ne fait pas partie des bons James Bond. L'histoire est déplacée principalement à Hong-Kong et en Thaïlande pour illustrer une intrigue peu intéressante ayant peu de rapport avec le roman. Parce que la mode est aux films d'arts martiaux, il faut se farcir des scènes de kung-fu parmi les plus ridicules que j'ai jamais vues au milieu de la mise en scène dépassée de Guy Hamilton. Le personnage de Mary Goodnight n'est qu'une cruche finie alors que ce n'est pas le cas chez Fleming. Pour son deuxième film, Roger Moore est un peu plus crédible que dans Live and let die.


Commentaires

  1. Et voilà. Encore un excellent article.
    Je n'ai jamais compris pourquoi on considérait ce roman comme moins "costaud" que les autres. Fleming a achevé le premier jet avant de mourir. Kingsley Amis a effectué le "polissage" ensuite, mais c'est un pur Fleming, cependant.
    Tout le début est absolument passionnant. La scène des deux oiseaux tués par Scaramanga, qui se fait ainsi, de la fille, une ennemie à vie, est extraordinaire. Les scrupules de Bond qui ne tue pas tout de suite son ennemi alors qu'il est là pour ça et qu'il le peut, c'est une trouvaille. La scène finale, dans les marais, durant laquelle Scaramanga mange un serpent cru vaut son pesant d'or (comme le pistolet). Le fait que Scaramanga demande à Bond un moment pour faire ses prières avant d'être abattu, quelle imagination ! Et Bond qui accepte !
    Les trois tétons, l'homosexualité révélée par le fait de ne pas savoir siffler (!), autant de merveilles d'imagination.
    Vraiment, ce livre est excellent.

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    1. Le roman est assez court, peut-être en raison du fait que Fleming est mort avant de le finir lui-même. Cela dit, il est captivant jusqu'au final au milieu des marais.
      Comme vous, je ne comprends pas les mauvaises critiques qui lui sont faites.

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