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You only live twice (1964) - Ian Fleming

"La geisha "Feuille Tremblante", agenouillée à côté de James Bond, se pencha en avant et l'embrassa chastement sur la joue droite.
- Ça, c'est tricher, dit James Bond avec sévérité. Vous aviez accepté, si je gagnais, de me donner un vrai baiser : sur la bouche. C'est un minimum, ajouta t-il.
"Madame" Perle Grise avait les dents laquées de noir, signe de grande distinction ;  son maquillage était si épais qu'on aurait pu la croire sortie d'une pièce de théâtre No. Elle traduisit. Il y eut des rires étouffés, des cris d'encouragement. Feuille Tremblante cacha son visage dans ses jolies mains comme si on lui avait demandé de se livrer à la pire des obscénités. Elle écarta ses doigts, examina la bouche de Bond de ses yeux bruns et vifs, comme si elle visait, et s'élança. Cette fois le baiser était bien sur les lèvres, et elle s'y attarda. Invite ? Promesse ?"

A la fin de On her Majesty's secret service, James Bond se mariait avec Teresa di Vicenzo. Quelques minutes plus tard, son épouse se faisait tuer par Ernst Stavro Blofeld, le chef du S.P.E.C.T.R.E, et Irma Bunt son affreuse compagne. Inconsolable, l'espion anglais a sombré dans la plus grande dépression qu'il soit. "Son état se détériore lentement. Il arrive en retard, il bâcle son travail, il fait des erreurs. Il boit beaucoup et perd beaucoup d'argent dans ces nouvelles maisons de jeux. Dans l'ensemble, je dois constater que l'un de nos meilleurs hommes est sur le point de devenir un risque pour la sécurité du Service. Quand on examine son dossier, c'est à proprement parler incroyable". Telle est la description qu'en fait M qui n'a plus espoir de retrouver l'agent qu'il fut et envisage de le radier des services secrets. Cependant, le neurologue James Molony conseille à M de lui confier une mission considérée impossible afin de provoquer chez lui une prise de conscience qui l'obligera à se surpasser. M promeut alors James Bond au rang supérieur de la section diplomatique qui passe d'un matricule à 3 chiffres à un à 4 chiffres. 007 devient 7777. Envoyé au Japon, l'espion doit convaincre Tiger Tanaka, le chef des services secrets de ce pays, de fournir au MI6 un exemplaire du Magic 44, une machine à déchiffrer les codes russes. Ayant acquis l'estime de Tanaka, celui-ci accepte de lui donner une de ces machines à condition que James Bond assassine les Shatterhand, un couple de botanistes suisses installé à proximité de Fukuoka dans un château au milieu d'un jardin rempli de plantes vénéneuses et d'étendues d'eaux infestées de piranhas. Assurés d'une mort certaine en raison de cet environnement hostile, les candidats au suicide se font de plus en plus nombreux au point de devenir un problème national. Dans un premier temps, James Bond se prépare à cette mission avec réticence mais tout scrupule disparaît lorsqu'en observant une photo du couple, il s'aperçoit qu'il s'agit de Ernst Stavro Blofeld et Irma Bunt.

Je l'ai déjà écrit plusieurs fois dans ce blog mais c'est à nouveau la réflexion qui m'est venue à l'esprit en lisant You only live twice, les romans de Ian Fleming se suivent et ne se ressemblent pas. A chaque fois, l'auteur se renouvelle, imagine de nouvelles situations, exploite de nouveaux thèmes, de nouveaux enjeux, établit des intrigues originales et des façons différentes pour son personnage de les mener à terme.

Mes connaissances de la culture japonaise sont très limitées mais à la lecture de You only live twice, on peut constater que Ian Fleming a effectué un sérieux travail de recherche et de documentation sur ce pays (ce que confirme Jacques Layani dans On ne lit que deux fois Ian Fleming) tant les informations à son sujet sont nombreuses. Internet n'existant pas lorsque j'ai lu le roman pour la 1ère fois à la fin des années 80, les moyens de vérifier leur véracité étaient minces et les lecteurs à sa sortie en avaient encore moins pour le faire. On pouvait néanmoins déjà imaginer sa curiosité en lisant Thrilling cities où on trouve d'ailleurs un passage consacré à Tokyo mais internet permet d'éclaircir la question et s'assurer qu'effectivement, le créateur de James Bond a intégré dans son histoire des éléments réels de la culture et de l'histoire japonaise. Si certains de ces éléments sont désormais assez connus comme les geishas, les kamikazes ou cette boisson qu'est le saké, d'autres le sont nettement moins. Ainsi, les hommes composant la garde rapprochée de Blofeld sont des anciens de la société du dragon noir, une communauté qui a bel et bien existé. Sur Wikipédia, on peut apprendre qu'il s'agissait d'un groupe paramilitaire d'extrême-droite et ultranationaliste. On découvre aussi les bases du Haïku, une forme de poésie due au poète japonais du XVIIème siècle Basho Matsuo. James Bond lui-même s'essaiera au Haïku en rédigeant le poème suivant et qui donne le titre au roman :

"On ne vit que deux fois :
La première quand on naît
La deuxième quand on est face à la mort"

Si aujourd'hui on peut se faire une idée de ce qu'est un ninja notamment à travers le cinéma qui l'a popularisé à travers des films plus ou moins inspirés, je ne suis pas sûr qu'en 1964 la majorité des lecteurs occidentaux avaient entendu parler de ces guerriers avant de lire You only live twice.

Plus surprenant, James Bond est accueilli pendant quelques jours dans une tribu de Amas. Tiger Tanaka lui dit que les "Amas sont une tribu de filles qui plongent pour aller chercher les awabis. Ce sont des coquillages très savoureux, qu'on appelle abalones dans d'autres régions d'extrême-Orient, et ormeaux en Occident. Elles pêchent aussi parfois des huîtres perlières. Elles plongent complètement nues. Quelques-unes sont remarquablement belles. Mais elles sont très farouches et elles découragent résolument tous les visiteurs. Elles ont leurs coutumes, et une culture primitive bien à elles. On pourrait presque les comparer à des sortes de gitanes de la mer. Elles se marient rarement en dehors de la tribu et c'est ce qui fait d'elles une race à part". Avec une telle description, on peut penser que ces Amas sortent directement de l'imagination et des fantasmes de Ian Fleming mais de telles communautés existent véritablement. Quelques recherches sur internet permettent de trouver des articles intéressants à leur sujet. Il y a par exemple la page Ama de Wikipédia, un article du site d'information Aujourd'hui le monde ICI qui alerte sur le risque de disparition de cette pêche traditionnelle en raison du séisme et du tsunami du 11 mars 2011 ainsi que le blog "Chroniques Hokkaïdoises" où on l'on trouve quelques photographies ICI de Amas datant des années 50.

Tous ces détails intégrés dans le récit ainsi que quelques autres ne font que confirmer, s'il en était encore besoin, que les histoires d'espionnage et d'aventures de Ian Fleming se distinguent des romans de ce type qui pullulaient à l'époque, ceux de Jean Bruce (OSS 117), Paul Kenny (Coplan FX 18) ou Gérard de Villiers (S.A.S).

La mort est le thème qui recouvre You only live twice, indéniablement. Si elle était présente dans Live and let die, ici elle semble s'être glissée à travers les pages, entre les lignes, parfois de façon discrète, parfois plus voyante mais souvent présente. James Bond ne s'est-il pas enfoncé dans un lent suicide en abandonnant le goût de vivre depuis la mort de Teresa ? Lorsqu'il s'essaie au Haïku, c'est le thème de la mort qu'il évoque. Le château de Blofeld, surnommé le château de la mort, est une invitation au suicide pour tous ceux qui veulent en finir avec la vie. Peu à peu, la préparation mentale et physique de James Bond pour aller tuer son ennemi juré semble prendre la forme d'une mission suicide. D'ailleurs, ce n'est que la deuxième fois que l'objectif premier ordonné à James Bond est de tuer (la fois précédente, il s'agissait pour Bond de tuer les meurtriers d'un couple d'amis de M dans la nouvelle For your eyes only du recueil éponyme). A la fin du roman, on peut aussi considérer que James Bond est en quelque sorte mort puisqu'en raison de la violence de l'affrontement contre Blofeld, il est atteint d'amnésie et même s'il semble retrouver quelques bribes de mémoire dans les dernières lignes, c'est dans cet état que Ian Fleming laisse son personnage. Est-ce en raison de sa santé qui avait sérieusement décliné qu'un tel sujet se retrouve ainsi exploité ? You only live twice est le dernier livre du créateur de James Bond qui sortira de son vivant, celui-ci décédera peu de temps après alors qu'il rédige The man with the golden gun.

La version française paraîtra chez PLON en 1965 dans une première traduction de Jean-François Crochet puis en 1971, cette fois traduite par André Gilliard.

L'adaptation sortie en 1967 fait partie des James Bond que j'aime le moins. Mis à part le titre, le Japon, quelques noms de personnages et deux ou trois idées empruntées sommairement au roman, elle n'entretient que peu de liens avec lui. L'espion se rend au Japon afin de découvrir qui se cache derrière le vol d'une capsule spatiale américaine et qui a eu pour effet de faire monter la tension internationale entre les Etats-Unis et l'Union soviétique. Le but est d'enchaîner les scènes d'actions en tous genres sans se préoccuper de la consistance des personnages qui de fait, n'en ont que très peu voire aucune. Quand on sait la qualité du roman, la déception n'en est que plus grande.


Commentaires

  1. Ah, On ne vit que deux fois, merveille des merveilles ! Ce n'est plus de l'espionnage, mais c'en est encore. Ce n'est pas de l'aventure, mais c'en est déjà. Ce n'est pas du fantastique, mais ça y arrive. C'est tout cela à la fois, c'est extraordinaire. Et bien sûr, toute cette volonté encyclopédique de Fleming.
    Attention, les deux traductions chez Plon (Crochet et Gilliard) sont sorties la même année : il faut prendre en compte la date de copyright, non l'achevé d'imprimer, qui est la date à laquelle l’exemplaire est sorti des presses. Je ne sais pas pourquoi le même éditeur a publié la même année deux traductions différentes sous la même couverture.

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    1. J'ai un peu de mal à comprendre. Les deux traductions sont sorties la même année chez Plon et les lecteurs français ont donc pu acquérir les deux versions en 1965. C'est bien ça ?

      Dans la bibliographie de votre livre, vous indiquez :

      "You only live twice, Jonathan Cape, 1964
      a) On ne vit que deux fois, Plon, 1964 (traduction de Jean-François Crochet).
      b) On ne vit que deux fois, Plon, 1971 (traduction nouvelle d'André Gilliard)."

      Dans la partie "Questions de traduction", vous rapportez les deux fins, celle de Jean-François Crochet que vous indiquez datée de 1964 et celle de André Gilliard que vous datez de 1971.

      Je suis un peu perdu dans ces histoires de copyright et d'achevé d'imprimer.

      Cela me fait penser aussi qu'il faudra que je vérifie si je n'ai pas la traduction de Jean-François Crochet. Je lis les Fleming sur les deux volumes de la collection "Bouquin" chez Robert Laffont (la première édition, il y a donc "On her Majesty's secret service") mais j'ai plusieurs éditions de chaque roman et recueils de nouvelles que j'ai laissées chez mes parents. Je vérifierai quand j'irai chez eux la prochaine fois.

      "You only live twice" est un excellent roman et ce que vous en dites est très juste.

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  2. Bon sang, mais c'est bien sûr... Vous voyez, il ne faut jamais répondre de mémoire, je suis allé trop vite. Vous avez raison, c'est bien ce que j'avais écrit dans la bibliographie (et que j'avais évidemment vérifié auparavant). Donc, ce n'est pas sorti la même année, mon souvenir me trompait. Mille excuses.
    Cela dit, le mystère demeure entier : pourquoi Plon a-t-il, à quelques années d'écart, demandé deux traductions à deux traducteurs, pour les faire paraître sous le même titre et la même couverture ? Aucune idée.

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    1. Ce qui me fait dire que ce que j'ai écrit n'est pas non plus exact. La première traduction serait sortie en 1964 et non en 1965. C'est sur la page wikipédia du livre (http://fr.wikipedia.org/wiki/On_ne_vit_que_deux_fois_(livre)) qu'est indiqué 1965 comme l'année de parution de la version française.

      Comme vous le dites, le mystère reste entier, d'autant plus que Jean-François Crochet est responsable de précédentes traductions qui sont restées définitives : Goldfinger, For your eyes only. C'est également lui qui s'occupera de The man with the golden gun.

      Nous avons une situation similaire avec Françoise Thirion. Elle a traduit Live and let die et Doctor No, ce sont les versions qu'on lit toujours en France (je mets volontairement de côté la traduction de Pierre Pevel de Live and let die qui est récente) mais après avoir traduit Thunderball, le roman a été à nouveau traduit par André Gilliard.

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  3. Ah oui, mais en ce qui concerne Françoise Thirion, la chose est plus simple. La première traduction d'Opération Tonnerre a été faite dans la collection ""Nuit blanche", avant que Bond n'ait sa série propre chez Plon. Cette première traduction n'était pas très sérieuse. Elle répondait à une conception qu'on se faisait alors de la littérature d'espionnage, quelque chose que l'on pouvait couper, transformer à loisir, ce n'était pas important.
    Par la suite, Bond fut pris davantage au sérieux, d'autant qu'il se vendait bien (seul critère de sérieux pour un éditeur). Alors, on refit une traduction d'Opération Tonnerre, qui trouva sa place dans la série.

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    1. Espérons alors que les traductions de Live and let die et Doctor No soient quand même respectueuses du texte d'origine.
      Peut-être qu'un jour je me lancerai dans la lecture des textes originaux. Ces histoires de traduction me turlupinent.

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  4. Ces questions étaient alors monnaie courante. Ce n'était pas une question, d'ailleurs. On achetait les droits du livre et, avec l'accord des éditeurs, le traducteur coupait, taillait, récrivait. C'était considéré comme de la sous-littérature. Les traducteurs n'avaient rien contre, couper leur permettait même d'aller plus vite, d'avoir davantage de contrats, ils s'en fichaient.
    L'esprit a changé. C'est pour cela qu'il faut regretter l'abandon par Bragelonne des traductions nouvelles de Pevel. On pouvait ne pas les aimer, mais elles étaient fidèles, complètes.

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