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Thrilling cities (1963) - Ian Fleming

Même si le titre français est opportunément devenu Des villes pour James bond, point de 007 dans Thrilling cities mais deux récits de voyages à travers 14 villes effectués par Ian Fleming en 1959 et 1960 à la demande du Sunday Times. Seule l'édition américaine contient une courte nouvelle de fiction mettant en scène le personnage créé par l'auteur, 007 in New-York.

Paru en 1963, le livre réunit les 13 textes parus dans le journal inspirés des 14 villes visitées par Ian Fleming : Hong-Kong, Macao, Tokyo, Honolulu, Los Angeles et Las Vegas, Chicago, New York, Hambourg, Berlin, Vienne, Genève, Naples et Monte Carlo. Voici un extrait de ce qu'écrit le romancier en avertissement : "Dans cet ouvrage, j'ai réuni treize essais, portant sur quelques-unes des villes les plus captivantes du globe, essais écrits pour le Sunday Times en 1959 et en 1960. Sur ces treize villes, six sont européennes ; les sept autres se répartissent sur les autres continents.
Toutes comportent ce qu'on appelle, en termes littéraires, une "atmosphère". Elles sont, je l'espère, ou étaient en leur temps, décrites avec exactitude, mais sans prétendre apparaître dans leur complexité ; et certaines informations qui s'y rapportent ont été fondées sur une optique bizarre et même sordide.
J'ai toute ma vie été attiré par l'aventure, et quand j'étais en voyage, j'ai recherché le grand frisson en abandonnant les larges avenues éclairées pour errer par des voies détournées, en quête du battement secret mais authentique du cœur des cités".

Ainsi, à travers son voyage, Ian Fleming va chercher des ambiances et non tenter d'établir un guide touristique en bonne et due forme, le genre de guide qu'il qualifie de "pédant". Par conséquent, les comptes-rendus de chaque ville sont très différents les uns des autres. A Macao, nous faisons la connaissance d'un certain docteur Lobo "roi de l'or en Orient" qui doit vraisemblablement composer avec les triades pour ses affaires, nous sentons l’œil de la mafia dans les casinos de Las Vegas, nous approchons quelques lieux de tensions entre Berlin Ouest et Berlin Est, nous apprenons que Hambourg est très permissif en ce qui concerne les lieux de spectacles érotiques et de prostitution, nous voyons Fleming tenter une expérience malheureuse au surf à Honolulu ou mal à l'aise du fait de sa taille dans sa chambre d'une auberge japonaise et nous découvrons bien d'autres choses encore. L'écrivain fait preuve d'une sincère curiosité pour ce qui l'entoure. Il n'hésite pas à partager ses impressions et réflexions personnelles sur les lieux qu'il visite, les personnes qu'il rencontre, la nourriture qu'il mange, etc. A plusieurs reprises, il rappelle quelques faits historiques et d'autres plus confidentiels qui, selon lui, expliquent l'état des villes à l'époque où il les visite jusqu'à exprimer parfois des opinions surprenantes sur plusieurs domaines.

La plaisir qu'il a à se promener dans ces lieux et à en rendre compte est communicatif et il ne manque souvent pas d'humour pour l'exprimer. Il peut dire sans complexe ce qu'il apprécie avec un bonheur non dissimulé, n'hésitant pas non plus à critiquer durement ce qu'il réprouve. Par exemple, si "les rues de Hong-Kong sont les rues nocturnes les plus enchanteresses [qu'il n'ait] jamais foulées", Ian Fleming jette sa foudre sur Le Corbusier à l'occasion de son passage à Berlin. Les réalisations de l'architecte sur lesquelles il avait déjà pu jeter "un regard bref et terrifié à Marseille" sont qualifiées de "boîtes d'allumettes", de "machins à vivre" et de "bâtiments parfaitement hideux".

Parfois, on peut penser qu'il exagère. Par exemple, il fait part de son mépris et même de dégoût envers le tourisme de masse. A Honolulu, il trouve "infiniment déprimant à voir des milliers de personnes de soixante-huit à soixante-dix ans habillées à la mode hawaïenne". Les femmes deviennent de "vieilles goules" accompagnées de leurs "époux décrépits, aux genoux cagneux". Dans la capitale autrichienne, devant une représentation des Petits Chanteurs de Vienne, il lui est insupportable d'être entouré de touristes qui, parce qu'ils "ont pris un billet pour n'importe quel genre de représentation, ils ont l'air de croire qu'ils ont aussi payé pour avoir le droit de se tenir comme ils veulent". Ian Fleming parlent de "lèpre touristique, qui est en train de rapidement détériorer les beaux endroits et les belles fêtes qui existent encore de par le monde". Que penserait-il alors du tourisme d'aujourd'hui ?

Ian Fleming croise aussi des personnes célèbres. A Monte-Carlo, Jacques-Yves Cousteau, "mon héros" comme il l'affirme, lui fait visiter le musée océanographique qu'il est en train de réaménager "de façon à en faire le plus grand aquarium du monde". A Genève, son ami le dramaturge Noël Coward arrange un dîner chez Charlie Chaplin. "J'ai trouvé absolument enthousiasmant de passer une soirée avec les deux hommes qui m'ont fait le plus rire dans ma vie", affirme l'écrivain.

Au fil de la lecture de Thrilling cities, on peut se rendre compte que malgré les critiques dont Ian Fleming a fait l'objet, il est en définitive plus ouvert que ce que certains ont bien voulu le prétendre. Etre un conservateur classé à droite ne l'empêche nullement de dresser un portrait chaleureux de Charlie Chaplin, artiste classé à gauche. On peut mettre aussi le doigt sur les propos et considérations racistes qu'il écrit dans ses romans, moi même je le fais à travers mes articles sur ce blog, il n'empêche que le créateur de James Bond se montre à plusieurs reprises respectueux et curieux des coutumes et cultures qu'il rencontre même s'il ne  les comprend pas toujours ; Et s'il ne les apprécie pas toutes, Ian Fleming ayant quelques difficultés parfois à sortir du point de vue ethnocentriste, la majorité de ses considérations relèvent plus d'une affaire de goût que de la xénophobie. Pourtant, il y a encore dans Thrilling cities quelques réflexions de cette nature venant affaiblir le plaisir de la lecture. Ecrire que l' "apport essentiel de Polonais, de Tchèques, de Hongrois, de Roumains, et un important élément juif (...) [n'est] guère favorable à l'épanouissement de la beauté féminine" est scandaleux. Pourtant, il peut aussi affirmer que "le déclin intellectuel de Vienne, comme celui de Munich et de Berlin, doit être attribué au départ définitif de 200 000 juifs qui, qu'elles qu'aient pu être leurs fautes (...) créent tout de même une atmosphère dans laquelle les qualités intellectuelles prospèrent d'une manière étonnante". L'écrivain abhorre le nazisme. Il le fait comprendre à plusieurs reprises comme il l'a fait dans ses romans.

Malgré ses quelques réflexions racistes, il ressort de l'ouvrage un Ian Fleming cultivé, intelligent, souvent pertinent et amusant. Le livre en dit plus sur l'auteur et sa personnalité que n'importe quel article, y compris le mien. Toute personne et tout admirateur du personnage de James Bond curieux de savoir qui était son créateur se doit de lire Thrilling cities.

A la lecture, se sont ajoutés quelques plaisirs personnels. J'aime la montagne et je considère les Alpes comme l'un des plus beaux endroits d'Europe. Même si ce qu'il écrit a plus de 60 ans, je ne peux qu'être heureux de l'imaginer conduire sa Thunderbird dans "les lents méandres par la Haute-Savoie et le Col du Mont-Cenis (...), la descente vers l'Italie à travers les champs de gentiane, de crocus des Alpes et d'anémones blanches et couleur de soufre". Le livre se termine sur "un dernier envol au-dessus du bruyant tumulte de la Côte d'Azur, au-dessus des bosquets d'oliviers de la Provence et des mystérieux dédales de l'Auvergne, jusqu'à la tendre Loire, et puis la longue envolée en ligne droite, par le nord-ouest de la France, jusqu'au petit aérodrome du Touquet, bourdonnant d'activité". Le Touquet, la Côte d'Opale, quel plaisir que de le voir finir ses carnets là où j'ai grandi après qu'il eut visité tous ces endroits du monde.

Commentaires

  1. Très bel article, une fois encore.
    Ce livre est important pour la connaissance de Fleming, en effet. On ne peut que regretter qu'il n'ait pas, parallèlement à la série des Bond, publié plus d'ouvrages sur différents sujets. C'est un très bon chroniqueur et son regard, hormis les sottises habituelles, est précis, exact et lucide.

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    1. Après avoir mis en ligne mon article, j'ai à nouveau consulté votre livre pour revoir ce que vous écriviez à propos de "Thrilling cities". J'ai remarqué qu'au sujet des réflexions racistes, vous mentionniez les mêmes exemples.

      Mon inconscient influencé par vos écrits ou même réaction face à ce genre de propos ?

      Un peu des deux, peut-être.

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  2. C'est une même réaction, bien sûr. Comment réagir autrement, d'ailleurs ? On lit un texte, on l'apprécie, et soudain, un passage ahurissant, sinon inacceptable, nous fait sauter en l'air. On ne peut pas glisser, ne pas le remarquer, forcément.

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