Accéder au contenu principal

Alex (2011) - Pierre Lemaître

"Alex adore ça. Il y a déjà près d'une heure qu'elle essaye, qu'elle hésite, qu'elle ressort, revient sur ses pas, essaye de nouveau. Perruques et postiches. Elle pourrait y passer des après-midi entiers.
Il y a trois ou quatre ans, par hasard, elle a découvert cette boutique, boulevard de Strasbourg. Elle n'a pas vraiment regardé, elle est entrée par curiosité. Elle a reçu un tel choc de se voir ainsi en rousse, tout en elle était transformé à un tel point qu'elle l'a aussitôt achetée, cette perruque.
Alex peut presque tout porter parce qu'elle est vraiment jolie. Ça n'a pas toujours été le cas, c'est venu à l'adolescence. Avant, elle a été une petite fille assez laide et terriblement maigre. Mais quand ça s'est déclenché, ç'a été comme une lame de fond, le corps a mué presque d'un coup, on aurait dit du morphing en accéléré, en quelques mois, Alex était ravissante. Du coup, comme personne ne s'y attendait plus, cette grâce soudaine, à commencer par elle, elle n'est jamais parvenue à y croire réellement. Aujourd'hui encore."

Je n'avais jamais entendu parler de Pierre Lemaître. C'est donc sans aucun a priori que j'ai entamé la lecture de Alex mis à part qu'elle me fut conseillé par JustmeFanny

Comme beaucoup de polars/thriller, l'histoire commence sur un thème assez classique. Ici, il s’agit donc d'Alex, une jolie trentenaire qui se fait enlever par un homme. Celui-ci va l'enfermer nue dans une cage suspendue au milieu d'un hangar vide. Son bourreau la nourrit de croquettes pour chiens et ne lui a dit qu'une chose, qu'il voulait la voir mourir. Les heures, les jours passent, les douleurs physiques sont de moins en moins tolérables et ses conditions d'hygiène sont humiliantes. Des rats affamés font leur apparition et convoitent sa chair. C'est sordide, effrayant. Parallèlement, grâce à un témoin, la police enquête sur l'enlèvement de la jeune femme. Là aussi, on retrouve une figure assez classique du roman policier, celle du flic qui ne s'est jamais remis d'un drame personnel. Ici, c'est Camille Verhoeven qui ne voulait plus d'affaires d'enlèvement depuis que sa propre femme s'est elle-même faite enlever et tuer. 

Une femme victime d'un enlèvement, un kidnappeur pervers et un flic psychologiquement atteint, combien de polars contiennent ce genre d'archétypes ? Mais Alex va prendre une tournure originale, une tournure qu'on espère dès les premières pages car sinon son intérêt serait considérablement amoindri. La police va rapidement retrouver l'identité du kidnappeur et le lieu où la jeune femme a été enfermée. Arrivée dans le hangar, la police constate qu'elle a réussi à s'échapper de sa cage et on apprend qu'elle ne veut surtout pas être retrouvée. Pire, elle se lance dans une croisade meurtrière d'une stupéfiante violence dont on ignore tout des raisons et son tortionnaire, avec lequel elle est certainement liée d'une manière ou d'une autre, ne peut plus révéler quoi que ce soit, il s'est suicidé au moment de son arrestation.

Bien sûr, tout au long de la lecture, on essaie de trouver les raisons qui poussent la jeune femme à éliminer toutes ces personnes. On fait des suppositions, on imagine le pire. Malgré les meurtres, l'auteur nous la rend sympathique au point d'avoir de l'empathie pour elle. La fin approchant, les indices et les révélations s’enchaînent et finalement, avec un peu d'intelligence, le lecteur peut trouver ce qui motive Alex dans les grandes lignes. Cependant, il apparaît que le plus grand intérêt du roman, tout ce qui en fait le "sel", ne réside pas uniquement dans les raisons de ses actes mais dans ultime finalité et son étonnant jusqu’au boutisme.

Sans dévoiler la fin, le lecteur sait que la vérité n'a pas triomphé, du moins pas entièrement. Le sentiment se partage entre l'empathie pour la tueuse que l'on ressent malgré tout mais aussi pour Camille qui a mené son enquête de façon exemplaire et qui méritait de ne pas la finir en se faisant en quelque sorte manipulé. Néanmoins, alors que nous sommes dans ce genre de dilemme, les dernières lignes laissent apparaître que lui et le juge d'instruction ne sont finalement pas dupes comme le révèlent les derniers mots de la conversation qui clôt le roman.

Spoiler : il s'agit des derniers mots du livre mais qui en eux-même ne révèlent rien de l'intrigue

"- Bah, la vérité, la vérité... Qui peut dire ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas commandant ! Pour nous, l'essentiel, ce n'est pas la vérité, c'est la justice, non ?
Camille sourit en hochant la tête."

Fin spoiler

Je trouve la morale de l'histoire assez courageuse et se démarquant du schéma habituel des polars.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Vertige (2011) - Franck Thilliez

J'ai découvert Franck Thilliez  il y a quelques années avec La chambre des morts , polar que j'avais apprécié lire. Plus tard, j'ai lu Train d'enfer pour ange rouge , thriller plutôt bien construit qui plonge le lecteur dans un univers qui se montre de plus en plus effrayant. J'ai achevé la lecture de  Vertige  récemment, son avant dernier livre qui me fait dire que l'auteur s'est amélioré entre ses premières œuvres et celle-ci ; Avec toujours ce goût pour les descriptions de scènes et situations morbides. Jonathan Touvier se réveille au fond d'une grotte glacée. Il est attaché au poignet par une chaîne qui restreint considérablement son champs de déplacement. Il y a son chien aussi, endormi et qui ne tardera pas à sortir du sommeil dans lequel il a été plongé. Deux autres hommes aussi se réveillent dans le même lieu : Farid, qui lui est enchaîné à la cheville et Michel, libre de ses mouvements mais qui a un masque de fer fixé autour de la tête. P

Licence to kill (1989) - John Glen

Licence to kill est le premier James Bond que j'ai vu au cinéma. A l'époque, j'avais été un peu déçu, le canevas scénaristique étant similaire à de nombreuses productions cinématographiques des années quatre-vingts, à savoir une histoire de vengeance sur fond de trafic de drogue. Depuis, je l'ai revu à la hausse. En effet, bien qu'il s'agisse pour la première fois d'un titre non issu des écrits de Ian Fleming, il me semble plutôt fidèle à l'esprit du créateur de James Bond. Il s'inspire d'ailleurs d'éléments qui avaient été ignorés dans les précédentes adaptations, en premier lieu la mutilation de Felix Leiter ( David Hedison ), jeté dans la mâchoire d'un requin, événement dramatique qui intervient dans le roman Live and let die mais entièrement ignoré dans sa pitoyable adaptation de 1973 . Dans Licence to kill , Leiter est jeté au requin alors qu'il vient tout juste de se marier. Parallèlement, Della, son épouse, sera t

Casino Royale (1953) - Ian Fleming

Avant propos : la quasi intégralité de cet article a été rédigée avant le week-end James Bond au Touquet . C'est l'organisation de ce week-end qui m'a motivé pour me plonger à nouveau dans les origines de 007 plus de 20 ans après les avoir lu. Il y a quelques similitudes avec les propos de Jacques Layani lors de sa conférence du 8 octobre dernier mais en aucune façon, je n'ai copié ou récupéré ce qu'il a pu dire sur Ian Fleming et James Bond. Je tenais à le préciser afin d'éviter tout malentendu avec celles et ceux qui ont assisté à la conférence ainsi qu'avec Jacques Layani lui même. " L'odeur d'un casino, mélange de fumée et de sueur, devient nauséabonde à trois heures du matin. L'usure nerveuse causée par le jeu - complexe de rapacité, de peur et de tension - devient insupportable ; les sens se réveillent et se révoltent. " C'est par ces mots que commence en 1953 la toute première intrigue de James Bond 007 imaginée par