"C'était ce moment de la journée où le monde commence à fatiguer. Le soleil se posait sur l'horizon. Un faisceau rougeoyant rampait à la surface des vagues et, sur le ciel vide, un vol d'oiseaux dessinait des motifs aléatoires. Le vent était tombé et la chaleur de l'après-midi était devenue oppressante, emprisonnée dans une brume de poussière et de vapeurs d'essence. Au milieu de cette brume, le break Crosley bleu sombre se retrouva soudain seul sur la route 13, en direction de l'intérieur des terres.
La Crosley était une vilaine voiture avec un nez proéminent et une cabine rectangulaire, sa carrosserie déjà attaquée par la rouille. Le conducteur, penché sur le volant et les yeux fixés sur la route, l'avait achetée trois cent dollars à un marchand d'occasions qui avait juré qu'elle consommait six litres au cent et montait jusqu'à quatre-vingt kilomètres-heure. Bien entendu il mentait, avec le sourire chaleureux et la denture parfaite de tout bon arnaqueur de petite ville de province. La Crosley gagnait péniblement de la vitesse lorsque la route dévalait une pente, or ici, sur la côte Est du Maryland, le paysage était désespérément plat."
Dans l'interview visible en suivant ce LIEN, Jacques Layani affirme qu'avec le principe des personnages récurrents, Ian Fleming, le créateur de James Bond, a bâti un monde et donc, "l'écrivain est un démiurge" et "il est donc intéressant de lire les quatorze livres dans l'ordre chronologique parce qu'il y a une cohérence absolue". Je suis évidemment d'accord avec son propos.
La Crosley était une vilaine voiture avec un nez proéminent et une cabine rectangulaire, sa carrosserie déjà attaquée par la rouille. Le conducteur, penché sur le volant et les yeux fixés sur la route, l'avait achetée trois cent dollars à un marchand d'occasions qui avait juré qu'elle consommait six litres au cent et montait jusqu'à quatre-vingt kilomètres-heure. Bien entendu il mentait, avec le sourire chaleureux et la denture parfaite de tout bon arnaqueur de petite ville de province. La Crosley gagnait péniblement de la vitesse lorsque la route dévalait une pente, or ici, sur la côte Est du Maryland, le paysage était désespérément plat."
Dans l'interview visible en suivant ce LIEN, Jacques Layani affirme qu'avec le principe des personnages récurrents, Ian Fleming, le créateur de James Bond, a bâti un monde et donc, "l'écrivain est un démiurge" et "il est donc intéressant de lire les quatorze livres dans l'ordre chronologique parce qu'il y a une cohérence absolue". Je suis évidemment d'accord avec son propos.
Ma passion pour l'univers de James Bond ne se limite pas aux livres de Ian Fleming. Elle a d'abord commencé par les films, comme beaucoup je pense ; et dans mon cas, le point de départ fut Dr No lorsque je le vis la première fois à l'occasion d'une diffusion télévisuelle. J'avais quatorze ans, un véritable choc. J'ai rapidement lu Fleming pendant mon adolescence puis une seconde fois récemment (cf. les articles que j'ai rédigés sur ce blog sur chacun des livres). Après ma récente seconde lecture, j'ai entrepris de continuer avec les auteurs qui ont pris la relève et que j'avais déjà lu pour un certain nombre d'entre eux. Ils n'ont pas la même saveur, c'est même très décevant.
Jusqu'à présent, tous ont situé l'action de leurs histoires après la période Fleming mais Trigger Mortis récemment édité prend place après Goldfinger, c'est-à-dire en plein milieu de l’œuvre de Ian Fleming... au risque d'en casser sa cohérence.
Cependant, la couverture annonce : "Incluant des notes de Ian Fleming". J'ai aussitôt pensé à ces publicités pour yaourts aux fruits certifiant "avec de vrais morceaux de fruits à l'intérieur". Trigger mortis, "avec de vrais morceaux de Ian Fleming à l'intérieur" ! En réalité, Anthony Horowitz a eu l'opportunité d'utiliser du matériel écrit par lui et qu'il destinait à une série télévisée qui ne vit jamais le jour.
Anthony Horowitz prend même le risque de réutiliser le personnage de Pussy Galore, la lesbienne de Goldfinger qui était à la tête d'un gang de voleuses associé à l'ennemi dont le roman porte le nom. Parce que le personnage de Pussy Galore est plutôt connu, notamment en raison du film de 1964, il serait tentant d'y voir un rapprochement opportuniste entre l'univers de James Bond et l'auteur du présent livre effectuant son clin d’œil dans le but d'obtenir une vaine légitimité auprès des lecteurs de Ian Fleming. Mais il semble que Horowitz connaisse assez bien ce qu'a écrit le créateur de 007. C'est la première fois que je retrouve des ambiances similaires et que James Bond est enfin fidèle à ses origines littéraires.
Un autre personnage fait également une brève apparition et celle-ci confirme les connaissances qu'a Anthony Horowitz de Fleming. Je préfère ne rien dire de plus pour préserver la surprise mais pour vous mettre sur la piste, il faut chercher du côté de From Russia with love, le roman bien entendu.
Comme c'est le cas chez Fleming également, James Bond échappe à la mort grâce à son sens de l'observation, en remarquant quelques détails de la vie courante, ici dans un hôtel américain où le feu nourri d'une mitrailleuse M60 pulvérise littéralement la chambre où il était sensé se trouver. Personnellement, j'ai trouvé le passage très saisissant.
Cependant, et alors que la lecture était satisfaisante jusque là, aux trois quarts du roman Anthony Horowitz plonge étonnamment dans l'un des clichés les plus usités par ce genre d'histoire. Alors qu'il retient James Bond prisonnier, l'ennemi lui explique les raisons qui l'ont poussé à mettre en œuvre son terrible projet. Combien de fois une telle scène a été lue et vue ? Et évidemment, on remonte à l'enfance et à un traumatisme qui en est lié. Ian Fleming prenait soin de doter ses personnages de biographies plus ou moins détaillées mais je ne me souviens pas qu'il ait pu le faire d'une manière aussi pataude.
Heureusement, l'écrivain se ressaisit dès le chapitre suivant et place James Bond dans une situation et des réflexions intéressantes et conformes à l'idée qu'avait Ian Fleming de son personnage. L'espion a l'occasion d'abattre froidement l'un des hommes de son ennemi qu'il a réussi à placer dans une situation d'entière vulnérabilité mais il s'abstiendra de le faire, alors que peu de temps auparavant, cette personne n'avait pas hésité à manipuler une pelleteuse pour l'enterrer vivant : "A la dernière seconde, il avait décidé de l'épargner. Pourquoi ? Il était l'un des trois agents britanniques possédant le double zéro, c'est-à-dire le permis de tuer. Or, permission de tuer ne signifiait pas obligation. Et encore moins le plaisir de le faire. Tout au fond de lui, il éprouvait une certaine satisfaction. Le mal qu'on lui avait fait n'avait pas fait de lui un être malfaisant. Sin pouvait toujours clamer que le massacre de Nogeun-ri l'avait transformé en monstre, ce qu'il était réellement, Bond, lui, avait échappé à l'horreur d'être enterré vivant sans que cela affecte son être profond, ni son humanité. C'était toute la différence entre eux. Et la raison pour laquelle il finirait par gagner."
Enfin, Anthony Horowitz prend soin de remercier plusieurs personnes à la fin de Trigger mortis dont Ian Fleming et conclue par ces mots : "J'ai essayé de rester fidèle à la vision de Fleming et de présenter son personnage tel qu'il l'avait conçu dans les années cinquante, tout en espérant ne pas froisser les sensibilités modernes. Je dois l'avouer, ce fut pour moi un plaisir de l'écrire."
De mon point de vue, mission réussie.
Jusqu'à présent, tous ont situé l'action de leurs histoires après la période Fleming mais Trigger Mortis récemment édité prend place après Goldfinger, c'est-à-dire en plein milieu de l’œuvre de Ian Fleming... au risque d'en casser sa cohérence.
Cependant, la couverture annonce : "Incluant des notes de Ian Fleming". J'ai aussitôt pensé à ces publicités pour yaourts aux fruits certifiant "avec de vrais morceaux de fruits à l'intérieur". Trigger mortis, "avec de vrais morceaux de Ian Fleming à l'intérieur" ! En réalité, Anthony Horowitz a eu l'opportunité d'utiliser du matériel écrit par lui et qu'il destinait à une série télévisée qui ne vit jamais le jour.
Anthony Horowitz prend même le risque de réutiliser le personnage de Pussy Galore, la lesbienne de Goldfinger qui était à la tête d'un gang de voleuses associé à l'ennemi dont le roman porte le nom. Parce que le personnage de Pussy Galore est plutôt connu, notamment en raison du film de 1964, il serait tentant d'y voir un rapprochement opportuniste entre l'univers de James Bond et l'auteur du présent livre effectuant son clin d’œil dans le but d'obtenir une vaine légitimité auprès des lecteurs de Ian Fleming. Mais il semble que Horowitz connaisse assez bien ce qu'a écrit le créateur de 007. C'est la première fois que je retrouve des ambiances similaires et que James Bond est enfin fidèle à ses origines littéraires.
Un autre personnage fait également une brève apparition et celle-ci confirme les connaissances qu'a Anthony Horowitz de Fleming. Je préfère ne rien dire de plus pour préserver la surprise mais pour vous mettre sur la piste, il faut chercher du côté de From Russia with love, le roman bien entendu.
Comme c'est le cas chez Fleming également, James Bond échappe à la mort grâce à son sens de l'observation, en remarquant quelques détails de la vie courante, ici dans un hôtel américain où le feu nourri d'une mitrailleuse M60 pulvérise littéralement la chambre où il était sensé se trouver. Personnellement, j'ai trouvé le passage très saisissant.
Cependant, et alors que la lecture était satisfaisante jusque là, aux trois quarts du roman Anthony Horowitz plonge étonnamment dans l'un des clichés les plus usités par ce genre d'histoire. Alors qu'il retient James Bond prisonnier, l'ennemi lui explique les raisons qui l'ont poussé à mettre en œuvre son terrible projet. Combien de fois une telle scène a été lue et vue ? Et évidemment, on remonte à l'enfance et à un traumatisme qui en est lié. Ian Fleming prenait soin de doter ses personnages de biographies plus ou moins détaillées mais je ne me souviens pas qu'il ait pu le faire d'une manière aussi pataude.
Heureusement, l'écrivain se ressaisit dès le chapitre suivant et place James Bond dans une situation et des réflexions intéressantes et conformes à l'idée qu'avait Ian Fleming de son personnage. L'espion a l'occasion d'abattre froidement l'un des hommes de son ennemi qu'il a réussi à placer dans une situation d'entière vulnérabilité mais il s'abstiendra de le faire, alors que peu de temps auparavant, cette personne n'avait pas hésité à manipuler une pelleteuse pour l'enterrer vivant : "A la dernière seconde, il avait décidé de l'épargner. Pourquoi ? Il était l'un des trois agents britanniques possédant le double zéro, c'est-à-dire le permis de tuer. Or, permission de tuer ne signifiait pas obligation. Et encore moins le plaisir de le faire. Tout au fond de lui, il éprouvait une certaine satisfaction. Le mal qu'on lui avait fait n'avait pas fait de lui un être malfaisant. Sin pouvait toujours clamer que le massacre de Nogeun-ri l'avait transformé en monstre, ce qu'il était réellement, Bond, lui, avait échappé à l'horreur d'être enterré vivant sans que cela affecte son être profond, ni son humanité. C'était toute la différence entre eux. Et la raison pour laquelle il finirait par gagner."
Enfin, Anthony Horowitz prend soin de remercier plusieurs personnes à la fin de Trigger mortis dont Ian Fleming et conclue par ces mots : "J'ai essayé de rester fidèle à la vision de Fleming et de présenter son personnage tel qu'il l'avait conçu dans les années cinquante, tout en espérant ne pas froisser les sensibilités modernes. Je dois l'avouer, ce fut pour moi un plaisir de l'écrire."
De mon point de vue, mission réussie.
J'ai adoré "avec de vrais morceaux de Ian Fleming à l'intérieur", j'ai ri, mais j'ai ri ! La formule est excellente, vraiment. Cela dit, je trouve que l'extrait que vous citez est à la limite du pastiche. Et vouloir s'intégrer dans la chronologie fleminguienne en se situant après Goldfinger et en faisant ressurgir Pussy Galore accentue encore cette impression. Tout cela sent le fabriqué à plein nez, comme c'était d'ailleurs le cas pour tous les romans bondiens rédigés par d'autres auteurs que Fleming. La plupart, vous le savez, me sont tombés des mains et ceux que j'ai pu terminer ne m'ont laissé strictement aucun souvenir, aucune trace. Je veux bien croire que ce livre ne vous a pas déplu, mais il sera oublié dans quelques mois, quand la saga de Fleming lui-même sera encore lue et traduite dans le monde entier, comme elle n'a jamais cessé de l'être.
RépondreSupprimerJe sais que pour vous Ian Fleming est indépassable mais ce Trigger Mortis est plutôt bon. J'ai aimé le lire. Pour la première fois, j'ai apprécié un roman utilisant James Bond autre qu'un Fleming. Contrairement à l'auteur précédent, William Boyd et son triste "Solo", je pense que Horowitz connait assez bien l'univers littéraire d'origine, certains points de son roman ne trompent pas à ce sujet.
SupprimerMais justement. Il pastiche...
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