"J'étais en fuite. Je fuyais l'Angleterre, mon enfance, l'hiver, une série d'affaires de coeur peu reluisantes et sans intérêts, quelques meubles boiteux, un fouillis de vêtements trop portés qui s'étaient amoncelés autour de moi depuis que je vivais à Londres ; je fuyais la malpropreté, l'odeur de moisi, le snobisme, le confinement qui engendre la claustrophobie, mon incapacité à prendre la tête du peloton, bien que en fait de pouliche, je ne sois pas l'une des plus vilaines.
En vérité, tout me faisait fuir, tout ce qui peut faire fuir, sauf que je n'avais rien à craindre des gendarmes".
Les Fleming se suivent et ne se ressemblent pas. Au niveau de leur structure, chacun des romans du créateur de James Bond se différencie des autres et de tous, The spy who loved me est certainement le plus original au point de pouvoir paraître déconcertant. La narration à la première personne du singulier en est la première originalité. La deuxième est qu'il s'agit d'une narratrice. Vivienne Michel, une jeune canadienne également citée comme co-auteur et qui raconte au lecteur les événements qui l'ont conduite à se trouver là où elle se trouve au moment où commence l'histoire, dans le motel des sapins rêveurs au milieu des Adirondacks. La première édition américaine comportait d'ailleurs un avant-propos de Ian Fleming affirmant qu'il avait trouvé un matin sur son bureau le livre écrit par la jeune femme et qu'il ne faisait que parrainer sa publication. La troisième originalité est que James Bond n'interviendra que dans le dernier tiers du roman, seulement au chapitre X. Audacieux et risqué.
Ian Fleming s'était déjà amusé à faire apparaître son personnage tardivement avec From Russia with love, dans la seconde moitié précisément mais James Bond était le sujet principal de la conversation entre les membres du SMERSH. Dans The spy who loved me, Vivienne Michel nous fait part de sa vie de jeune fille et surtout de ses deux déceptions amoureuses qui l'ont amenée un jour à tout plaquer et à prendre le large en traversant les Etats-Unis en scooter. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée seule dans ce motel où les gérants, moyennant finances, lui en ont confié la garde jusqu'à ce que le propriétaire, un certain M. Sanguinetti, vienne récupérer les clefs pour la fermeture annuelle. A la seule lecture du nom de Sanguinetti, on peut supposer une appartenance à une famille mafieuse et que désormais Vivienne Michel est en danger, le départ précipité des gérants ne faisant que renforcer les soupçons. Ainsi se constitue le premier tiers du roman intitulé "Moi".
Le deuxième tiers, "Eux", voit l'arrivée de deux hommes, Sluggsy Morant et Sol Horowitz, archétypes des gangsters américains qui ne tarderont pas à violenter Vivienne Michel. En fait, ils sont envoyés par M. Sanguinetti, leur patron, pour mettre le feu au motel qui est déficitaire et ainsi toucher la prime d'assurance. Alors que les minutes semblent comptées pour la jeune fille, on sonne à l'entrée du motel.
Le dernier tiers de The spy who loved me a pour titre "Lui". "Lui", c'est James Bond. En mission aux Etats-Unis sur les traces du S.P.E.C.T.R.E, l'organisation criminelle qui a fait son apparition dans le précédent livre, il se présente à la réception, un pneu de sa voiture ayant crevé sur la route non loin du motel. L'affrontement avec les deux gangsters deviendra inévitable.
Régulièrement, on peut lire que Ian Fleming était un sadique et un machiste, en témoigneraient les nombreuses tortures et actes de violence qui parsèmeraient son oeuvre ainsi que le traitement qu'il réserverait aux femmes au fil des pages. Son univers a même été résumé en trois mots : "Sexe, snobisme et sadisme". Evidemment, ses romans et nouvelles sont ponctués de moments violents mais si l'on ne veut pas être confrontés à de tels passages, on ne lit pas de thrillers. Quant à son supposé sexisme, bien sûr, certaines phrases, certaines pensées relatives aux femmes peuvent paraître rétrogrades, y compris dans le présent ouvrage, mais c'est ignorer les nombreux portraits de femmes libres, charismatiques et indépendantes que l'on retrouve dans la plupart de ses histoires. Dans The spy who loved me, Ian Fleming fait preuve d'intelligence et de subtilité en se mettant dans la peau d'une jeune femme de 23 ans pour narrer ses premiers troubles sentimentaux et les déceptions qui s'ensuivent. A la lecture de ce roman, il n'y a aucune difficulté à s'imaginer qu'il s'agit bien d'une jeune fille nommée Vivienne Michel qui a écrit ce qu'on lit ; Et l'auteur se montre parfaitement crédible pour nous convaincre de la façon dont elle tente de tenir tête aux gangsters.
Le procédé permet également à l'écrivain de décrire James Bond sous un autre regard, celui d'une entière étrangère au monde dans lequel l'agent évolue depuis Casino Royale : "A mon premier coup d'oeil, je maugréai en moi-même : "Mon Dieu ! c'est encore un de leurs semblables, un gangster comme eux !" Il était là, si calme, si maître de lui, avec quelque chose de cet air meurtrier qu'avaient les autres. Il portait le vêtement dont le cinéma a fait l'uniforme des gangsters : un imperméable bleu foncé à ceinture et un feutre noir très enfoncé sur les yeux. Dans le genre ténébreux, cruel même, il était beau. Une cicatrice plus clair traversait sa joue gauche". Ainsi selon Ian Fleming, James Bond est physiquement plus proche du bandit que du "british gentleman".
La confrontation entre James Bond et les deux mafieux sera acharnée, furieuse et s'achèvera en pleine nuit au milieu des bungalows en flamme. Puis, endormie contre James Bond, Vivienne constatera à son réveil qu'il est parti : "Quand je me réveillai le matin, il était parti. Il n'y avait plus que la trace de son corps dans le lit, son odeur sur l'oreiller. pour être tout à fait sûre, je sautai du lit et allai voir en courant si la voiture grise était encore là. Elle n'y était plus". D'une certaine façon, avec The spy who loved me, Ian Fleming illustre la quintessence du héros solitaire qui arrive de nulle part, tue les méchants, sauve la belle, lui fait l'amour et disparaît... un peu comme dans les westerns.
Une fois de plus, la traduction française fait disparaître le titre original (pourtant bien trouvé et correspondant parfaitement à l'intrigue), pour devenir Motel 007, ce qui n'a aucun sens, James Bond n'ayant évidemment pas ouvert de motel au nom de son matricule ! De plus, la première édition française ne sera publiée en France chez Plon qu'en 1965 alors que The spy who loved me fait le lien entre Thunderball et On her Majesty's secret service.
L'adaptation cinématographique n'en est pas une. En effet, les producteurs n'ont eu que l'autorisation d'utiliser le titre, pas l'histoire. Ainsi, The spy who loved me sorti en 1977 avec Roger Moore n'a aucun rapport avec le roman si ce n'est qu'on peut remarquer quelques similitudes entre les personnages de Sluggsy et Horowitz avec Sandor et Jaws. Extravagant avec sa Lotus Esprit amphibie, son indestructible tueur aux dents d'acier, ses décors démesurés et ses nombreuses scènes d'action, le film sait pourtant se poser et adopter un ton sérieux voire grave quand par exemple est évoquée la mort de Tracy, l'épouse de James Bond, ou lorsque Anya Amasova (Barbara Bach), l'agent russe avec qui le héros fait équipe, se rend compte que l'espion britannique est responsable de la mort de son fiancé. Très éloigné de Ian Fleming, le troisième Bond de Roger Moore n'en reste pas moins l'un de ceux que j'ai le plus plaisir à voir et revoir.
Ian Fleming s'était déjà amusé à faire apparaître son personnage tardivement avec From Russia with love, dans la seconde moitié précisément mais James Bond était le sujet principal de la conversation entre les membres du SMERSH. Dans The spy who loved me, Vivienne Michel nous fait part de sa vie de jeune fille et surtout de ses deux déceptions amoureuses qui l'ont amenée un jour à tout plaquer et à prendre le large en traversant les Etats-Unis en scooter. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée seule dans ce motel où les gérants, moyennant finances, lui en ont confié la garde jusqu'à ce que le propriétaire, un certain M. Sanguinetti, vienne récupérer les clefs pour la fermeture annuelle. A la seule lecture du nom de Sanguinetti, on peut supposer une appartenance à une famille mafieuse et que désormais Vivienne Michel est en danger, le départ précipité des gérants ne faisant que renforcer les soupçons. Ainsi se constitue le premier tiers du roman intitulé "Moi".
Le deuxième tiers, "Eux", voit l'arrivée de deux hommes, Sluggsy Morant et Sol Horowitz, archétypes des gangsters américains qui ne tarderont pas à violenter Vivienne Michel. En fait, ils sont envoyés par M. Sanguinetti, leur patron, pour mettre le feu au motel qui est déficitaire et ainsi toucher la prime d'assurance. Alors que les minutes semblent comptées pour la jeune fille, on sonne à l'entrée du motel.
Le dernier tiers de The spy who loved me a pour titre "Lui". "Lui", c'est James Bond. En mission aux Etats-Unis sur les traces du S.P.E.C.T.R.E, l'organisation criminelle qui a fait son apparition dans le précédent livre, il se présente à la réception, un pneu de sa voiture ayant crevé sur la route non loin du motel. L'affrontement avec les deux gangsters deviendra inévitable.
Régulièrement, on peut lire que Ian Fleming était un sadique et un machiste, en témoigneraient les nombreuses tortures et actes de violence qui parsèmeraient son oeuvre ainsi que le traitement qu'il réserverait aux femmes au fil des pages. Son univers a même été résumé en trois mots : "Sexe, snobisme et sadisme". Evidemment, ses romans et nouvelles sont ponctués de moments violents mais si l'on ne veut pas être confrontés à de tels passages, on ne lit pas de thrillers. Quant à son supposé sexisme, bien sûr, certaines phrases, certaines pensées relatives aux femmes peuvent paraître rétrogrades, y compris dans le présent ouvrage, mais c'est ignorer les nombreux portraits de femmes libres, charismatiques et indépendantes que l'on retrouve dans la plupart de ses histoires. Dans The spy who loved me, Ian Fleming fait preuve d'intelligence et de subtilité en se mettant dans la peau d'une jeune femme de 23 ans pour narrer ses premiers troubles sentimentaux et les déceptions qui s'ensuivent. A la lecture de ce roman, il n'y a aucune difficulté à s'imaginer qu'il s'agit bien d'une jeune fille nommée Vivienne Michel qui a écrit ce qu'on lit ; Et l'auteur se montre parfaitement crédible pour nous convaincre de la façon dont elle tente de tenir tête aux gangsters.
Le procédé permet également à l'écrivain de décrire James Bond sous un autre regard, celui d'une entière étrangère au monde dans lequel l'agent évolue depuis Casino Royale : "A mon premier coup d'oeil, je maugréai en moi-même : "Mon Dieu ! c'est encore un de leurs semblables, un gangster comme eux !" Il était là, si calme, si maître de lui, avec quelque chose de cet air meurtrier qu'avaient les autres. Il portait le vêtement dont le cinéma a fait l'uniforme des gangsters : un imperméable bleu foncé à ceinture et un feutre noir très enfoncé sur les yeux. Dans le genre ténébreux, cruel même, il était beau. Une cicatrice plus clair traversait sa joue gauche". Ainsi selon Ian Fleming, James Bond est physiquement plus proche du bandit que du "british gentleman".
La confrontation entre James Bond et les deux mafieux sera acharnée, furieuse et s'achèvera en pleine nuit au milieu des bungalows en flamme. Puis, endormie contre James Bond, Vivienne constatera à son réveil qu'il est parti : "Quand je me réveillai le matin, il était parti. Il n'y avait plus que la trace de son corps dans le lit, son odeur sur l'oreiller. pour être tout à fait sûre, je sautai du lit et allai voir en courant si la voiture grise était encore là. Elle n'y était plus". D'une certaine façon, avec The spy who loved me, Ian Fleming illustre la quintessence du héros solitaire qui arrive de nulle part, tue les méchants, sauve la belle, lui fait l'amour et disparaît... un peu comme dans les westerns.
Une fois de plus, la traduction française fait disparaître le titre original (pourtant bien trouvé et correspondant parfaitement à l'intrigue), pour devenir Motel 007, ce qui n'a aucun sens, James Bond n'ayant évidemment pas ouvert de motel au nom de son matricule ! De plus, la première édition française ne sera publiée en France chez Plon qu'en 1965 alors que The spy who loved me fait le lien entre Thunderball et On her Majesty's secret service.
L'adaptation cinématographique n'en est pas une. En effet, les producteurs n'ont eu que l'autorisation d'utiliser le titre, pas l'histoire. Ainsi, The spy who loved me sorti en 1977 avec Roger Moore n'a aucun rapport avec le roman si ce n'est qu'on peut remarquer quelques similitudes entre les personnages de Sluggsy et Horowitz avec Sandor et Jaws. Extravagant avec sa Lotus Esprit amphibie, son indestructible tueur aux dents d'acier, ses décors démesurés et ses nombreuses scènes d'action, le film sait pourtant se poser et adopter un ton sérieux voire grave quand par exemple est évoquée la mort de Tracy, l'épouse de James Bond, ou lorsque Anya Amasova (Barbara Bach), l'agent russe avec qui le héros fait équipe, se rend compte que l'espion britannique est responsable de la mort de son fiancé. Très éloigné de Ian Fleming, le troisième Bond de Roger Moore n'en reste pas moins l'un de ceux que j'ai le plus plaisir à voir et revoir.
Parfait, évidemment. Tout est dit ici de ce magnifique roman, profondément humain et sensible, qui montre une fois encore, et si besoin était, l'étendue de l'art de Fleming, métamorphosé en une très jeune femme, décrivant ses sentiments, ses espoirs, ses dégoûts comme s'il les ressentait lui-même, au profond, sous la peau, dans le ventre. Formidable exercice, passionnante aventure,merveilleux livre et le plus culotté de tous, à cause de l'arrivée tardive de Bond. "Moi", "Eux", "Lui", c'est à la fois très féminin comme structure, me semble-t-il, et profondément dramatique. Extraordinaire Motel 007 !
RépondreSupprimerFormidable roman en effet. Plutôt court, j'ai pris beaucoup de plaisir à le relire. Une fois de plus, on s'aperçoit que l'univers de James Bond est à l'origine plus riche que ce qu'en a laissé transparaître le cinéma.
SupprimerAmitiés.
Sébastien
Si vous saviez, de plus, combien ce livre "sent" l’époque à laquelle il a été écrit ! Lorsqu'on a vécu, même fort jeune, ces années, on comprend immédiatement ce que montre Fleming. C'est un avantage supplémentaire, qui ajoute encore à l'atmosphère. Que ce soit la salle de cinéma, l'équipement du scooter, le motel lui-même ou son mobilier, c'est frappant.
RépondreSupprimerJe n'en doute pas. Quand Ian Fleming décrit Royale-les-eaux dans son premier roman ou dans On her Majesty's secret service, bien que ce soit une ville fictive, j'ai l'impression de voir Le Touquet qui a servi d'inspiration et de cette ambiance que l'on peut ressentir en observant de vieilles photos de cette ville. Donc, oui, je ne doute pas de l'atmosphère, de cette époque que l'on peut sentir quand on y a vécu et que Fleming retranscrit. Dans The spy who loved me, j'ai surtout aimé l'ambiance, Vivienne qui se sent protégée dans le motel des éléments qui s'agitent à l'extérieur, ses souvenirs qu'elle évoque en tentant de se réchauffer et puis... les deux gangsters... J'ai l'impression que si l'on vous demandait quel est votre préféré, vous citeriez ce roman, je me trompe ?
SupprimerNon, vous ne vous trompez pas. Et justement parce qu'il est atypique : j'ai un faible pour les gens différents, les livres différents, les atmosphères différentes, les conversations différentes, etc.
RépondreSupprimerCela dit, je répondrais que c'est celui-là, oui, mais uniquement si je devais découper en tranches l’œuvre de Fleming pour une question de vie ou de mort. Autrement, comme vous le savez déjà, je considère l’œuvre comme un tout, et les quatorze livres comme un passionnant ensemble.
Comme Léo ferré et Albertine Sarrazin ?
SupprimerIl me serait bien difficile aussi de citer un seul Fleming. "The spy who loved me" fait assurément partie de mes préférés.
Je suis très éclectique. Si je devais écrire un livre sur chacun des domaines qui m'intéressent (en admettant que j'en sois capable), il me faudrait dix vies.
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